Depuis samedi, l'armée ivoirienne n'a plus d'aviation militaire. La France l'a totalement détruite sur ordre direct du président Jacques Chirac qui entendait ainsi réagir à l'attaque d'un cantonnement militaire français près de Bouaké, dans le Nord, qui a fait neuf tués dans les rangs français ainsi qu'un civil américain. Mais la France refuse de tenir compte des explications officielles ivoiriennes, comme l'erreur de tir invoquée par différentes sources y compris par la rébellion. Le chasseur-bombardier Sukhoï, qui a tué les militaires français, visait un camp de ces rebelles proche de ce cantonnement, a affirmé Sidiki Konaté, porte-parole des Forces nouvelles (FN, rebelles). Le Sukhoï a survolé à cinq reprises le camp abritant des combattants rebelles, situé à quelques centaines de mètres du cantonnement français installé dans le lycée Descartes (désaffecté), a précisé M. Konaté. En larguant deux bombes, le Sukhoï a raté sa cible du camp rebelle, tandis que la seconde bombe touchait le cantonnement français, a ajouté M. Sidiki. Chef des armées, Jacques Chirac a immédiatement réagi, ordonnant « que soit immédiatement entreprise la destruction des moyens aériens militaires ivoiriens utilisés ces derniers jours en violation du cessez-le-feu », conclu sous l'égide de la France et de l'Onu en janvier 2003. Il a également décidé l'envoi en Côte d'Ivoire de deux compagnies supplémentaires (environ 300 hommes) en renfort pour assurer la sécurité des ressortissants français. Une réaction anti-française violente des groupes proches du pouvoir (« jeunes patriotes » notamment) étant prévisible, Paris est également sorti de sa prudence politique et a clairement placé le président ivoirien Laurent Gbagbo devant ses responsabilités. Le ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, a averti que M. Gbagbo serait « tenu personnellement responsable, par la communauté internationale, du maintien de l'ordre public à Abidjan ». De son côté, le ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, a appelé M. Gbagbo « à assumer ses responsabilités » pour ramener le calme. Le chef de la diplomatie française a souligné que la France était « en état de légitime défense ». « Il faut immédiatement retrouver le chemin de la paix et reprendre le processus politique tracé par les accords de Marcoussis et d'Accra III », a-t-il dit. Plus de 6000 Casques bleus de l'Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (Onuci) et 4000 soldats français de Licorne sont déployés pour tenter de rétablir la paix dans ce pays coupé en deux par une rébellion armée depuis septembre 2002. Cet épisode est une étape supplémentaire de la dégradation des relations entre Paris et le président ivoirien. Jacques Chirac avait appelé Laurent Gbagbo mercredi pour « le mettre en garde contre tout acte de nature à rompre le cessez-le-feu ». Mais il ne l'a pas joint samedi. Et depuis hier, la France préfère agir. En effet, une compagnie de 150 soldats français en provenance de Libreville (Gabon) s'est posée hier sur l'aéroport d'Abidjan, premiers renforts français en Côte d'Ivoire qui allaient être suivis d'une seconde compagnie de 150 hommes, également en provenance de Libreville. Ils s'ajoutent aux quelque 600 hommes de la base militaire française du 43e BIM (bataillon d'infanterie de marine) à Abidjan. Mais cela ne se fait sans heurt ou avec bonheur. Le président de l'Assemblée nationale ivoirienne, Mamadou Koulibaly, a en effet affirmé hier qu'une « trentaine » d'Ivoiriens avaient été tués et une centaine d'autres blessés par l'armée française, ce que cette dernière a imédiatement démenti. Plusieurs dizaines de milliers de manifestants pro-Gbagbo qui voulaient « reprendre » l'aéroport international Houphouêt-Boigny ont par ailleurs essayé dans la nuit de samedi à dimanche de s'en approcher mais ont été contenus par les forces françaises . Le dirigeant ivoirien a accusé la France d'« occuper » son pays et s'en est violemment pris au président français Jacques Chirac, l'accusant « d'avoir armé les rebelles », et il a affirmé qu'il ne pouvait garantir la sécurité des ressortissants français vivant en Côte d'Ivoire. « Depuis le début de cette crise, nous avons le sentiment et les preuves que c'est Jacques Chirac qui a armé les rebelles dans un premier temps », a-t-il dit, accusant la France d'« être de connivence » avec les rebelles. « La population et l'Etat ivoiriens souhaitent que cette armée d'occupation libère le territoire et s'en aille », a-t-il poursuivi. Il a justifié l'offensive de l'armée ivoirienne contre les rebelles, qui contrôlent le nord du pays, par la nécessité de procéder à leur désarmement comme prévu par les accords de paix de Marcoussis de 2003. Des accords auxquels tient particulièrement le Conseil de sécurité qui a condamné l'attaque de samedi. Mais à croire, comme le regrette fort justement l'Union africaine qui a toujours en main le dossier ivoirien, que ce conflit pour le pouvoir exacerbe après les avoir suscités, certains réflexes éthniques ou communautaires porteurs de tous les dangers. Et le président Gbagbo aujourd'hui accusé d'avoir violé une trêve précaire n'échappe pas à cette accusation. C'est l'un des maux qui rongent l'Afrique. Marcoussis, c'était une espèce de compromis qui aurait été imposé au président ivoirien décidément très mal noté à Paris où l'on se garde de montrer une quelconque forme de partipris, même s'il s'agit de priver l'armée gouvernementale de son aviation de guerre