Née en 1944 à Paris, Marie-Christine Barrault a découvert le théâtre à l'école. Elle écourte ses études de lettres à l'université pour entrer au Cours Simon en 1963 puis au Conservatoire d'art dramatique. Elle joue ses premiers rôles au théâtre avant que le réalisateur Eric Rohmer ne lui propose d'interpréter, aux côtés de J-L. Trintignant, un rôle de jeune provinciale dans Ma nuit chez Maud. De là, commence une carrière au cinéma qu'elle poursuit sans jamais renoncer au théâtre. Le succès du film Cousin, cousine en 1975 lui apporte une consécration mondiale. Elle est citée à l'Oscar de la meilleure actrice et joue ensuite pour Woody Allen dans Stardust Memories. Les plus grands réalisateurs la sollicitent : Wajda pour Un Amour en Allemagne, Manuel de Oliveira pour Le Soulier de satin ou Schlöndorf pour Un Amour de Swann. A la télévision où elle est très demandée, elle interprète avec brio en 1990 le personnage de la savante Marie Curie. En 2007, elle joue dans le film La disparue de Deauville. Elle est connue aussi pour ses engagements publics aux côtés de diverses causes : les maires de Seine-Saint-Denis refusant les expulsions, les populations du Darfour, la Fondation de l'Abbé Pierre… Dans vos biographies, on met souvent en avant votre filiation familiale artistique. Vous a-t-elle vraiment déterminée ? C'est difficile à dire. La proximité de personnes aussi influentes que mon oncle Jean Louis Barrault ou de ma tante Madeleine Renaud a sûrement excité mon imagination. Il est connu qu'ils ont tout fait pour m'empêcher de m'engager dans cette voie. Mon envie d'être actrice est venue du plus profond de moi, les circonstances, la famille, l'éducation, des drames familiaux aussi... Mais il est vrai que j'aurais eu plus du mal à imaginer ce métier si je venais d'une famille où il n'y avait aucun artiste. Je suis toujours étonnée quand je vois des gens qui ont fait ce métier alors qu'ils arrivent d'un milieu perdu au milieu de la France la plus profonde. Comment ont-ils imaginé que cela existait ? Maintenant, bien sûr, on ne peut plus dire ça, il y a la télé. Mon amour du métier est venu de mon rapport au monde et surtout de mon amour de la littérature, de la poésie, des mots, de ce que j'ai en fait appris à l'école. Quand je parle à des professeurs de français, je leur dis : vous ne pouvez pas imaginer l'influence que vous pouvez avoir sur un enfant ! Vous avez plusieurs fois été dirigée par Eric Rohmer, notamment pour votre premier film Ma nuit chez Maud en 1969. Qu'avez-vous tiré de l'expérience avec un aussi grand réalisateur ? J'avais joué au théâtre et pour la TV. Quand j'ai lu le scénario de Ma nuit chez Maud, cela me semblait tout naturel comme qualité de texte. C'est après que j'ai déchanté en recevant des scénarios d'une telle indigence que j'en étais étonnée. Je me suis rendu compte que j'avais eu de la chance de commencer avec quelque chose d'aussi fin, intelligent, la crème de la crème. Le destin a voulu que je commence ainsi. Mais, après, pour rester aussi haut, ce n'est pas facile. En 1975, vous avez joué dans Cousin cousine, ce qui vous a valu une citation à l'Oscar. Ne pas l'obtenir, ne vous a pas déçue ? Non, cela me semblait naturel. Quand même, en face, il y avait Faye Dunaway, Liv Ullmann et d'autres ! J'étais en bonne compagnie (rires) ! Le fait d'être citée était une immense récompense pour moi. Cela m'a beaucoup appris aussi d'être alors aux Etats-Unis. J'ai vu d'un coup, disons, le côté artificiel de ce métier, strass et paillettes. Ce n'est pas ça qui m'intéresse. D'abord, j'aime avant tout le théâtre, même si j'ai fait des films dont je suis fière. Mais au cinéma, on peut se faire dévorer et perdre son âme. C'est arrivé à un bon moment pour moi : pas trop jeune pour perdre la tête et assez âgée pour être assez armée intérieurement. Mais après cette nomination, vous vous êtes installée aux USA ? Installée ? Non, je suis juste allée faire le film de Woody Allen. Mais il est vrai que comme il met beaucoup de temps à faire un film, j'y suis restée quasiment un an. Et avec Woody Allen, comment les choses se sont-elles passées ? Très bien. C'est quelqu'un d'absolument charmant. Je me faisais une idée à l'époque d'un être très compliqué, très psy. En fait, sur un plateau, c'est la personne la plus simple, amicale, tranquille. C'était un peu long car il recommence souvent. Il faut être à sa disposition. Cela peut durer. D'où mon séjour à New-York. Vous êtes à Alger pour dire les textes de Marguerite Duras et de Sylvie Germain qui vous accompagne. Duras vous fascine… Oui, mais c'est relativement récent. Je connaissais un petit peu la femme et j'ai joué au théâtre Barrage contre le Pacifique, il y a 7 ans maintenant. Ce fut un choc pour moi. C'est d'une force inouïe, d'un souffle incroyable. Duras est une grande romancière. C'est drôle, car quand elle a eu le prix Goncourt pour L'Amant, j'avais trouvé que ce n'était pas son meilleur roman. L'histoire me paraissait même un peu « roman de gare ». Et là, en retravaillant le texte pour cette lecture à Alger, je me suis dit : mais que c'est bien écrit, précis, juste ! J'aime de plus en plus son écriture. Vous n'avez jamais été tentée par la littérature, en tant qu'auteure ? Je ne sais écrire que des choses très concrètes. Je n'ai écrit qu'un seul livre qui raconte ma vie en fait. Je ne crois pas que je saurais écrire de la fiction. Je n'ai pas essayé et, de toutes les façons, je n'ai jamais le temps. Je dois écrire un deuxième livre et je ne trouve pas le temps de le finir. Si j'aime les mots, il faut que ce soient ceux des autres. Quand une phrase est bien écrite, un poème, un roman, une chanson, je bois du petit-lait ! Mon écriture est très factuelle. Pour la télévision, vous avez été une Marie Curie exceptionnelle. Ce rôle vous a marquée ? Beaucoup. C'est un des projets que j'ai le plus soutenus. J'ai mis des années avant de le faire parce qu'on n'arrivait pas à se déterminer. Cinéma ? Télé ? Aujourd'hui, j'ai l'impression d'une rencontre avec Marie Curie. Je me sentais investie par ce rôle. J'en étais fière. Je dis souvent que jouer un rôle c'est fréquenter son personnage, surtout quand il a vraiment existé. Je suis pourtant très différente d'elle, mis à part la ressemblance physique. Mais elle était devenue comme une sœur pour moi. Son courage, son intelligence, sa simplicité sont un exemple pour tout le monde. Quand on a porté ses cendres au Panthéon avec celles de son époux, Pierre, vous ne pouvez imaginer mon émotion. J'avais l'impression qu'un peu de moi s'en allait dans ce cercueil. Vous avez campé en 2003, dans Droit d'asile, une femme pasteur qui aide une militante du FLN à s'enfuir en Suisse. Cela correspond assez bien à vos engagements personnels… C'est naturel. Il y a bien sûr des causes qui me sont plus proches que d'autres, mais il est assez difficile aujourd'hui de se désintéresser du malheur du monde. On dispose d'une notoriété acquise à travers un métier qui n'est, somme toute, pas si difficile. Un acteur ne se met pas en danger. On a bien quelques déceptions et souffrances, mais que représentent-elles par rapport aux souffrances du monde ? Il me semble naturel de partager. J'ai la chance d'être heureuse et d'avoir un goût du bonheur, indépendamment de mon métier. J'ai une chance folle d'être actrice. Je n'ai jamais chômé, j'ai toujours eu des rôles magnifiques, j'ai rencontré des gens extraordinaires qui m'ont toujours tirée vers le haut et, si je ne suis pas dans la même disposition vis-à-vis des autres, ce serait inhumain de ma part. Pour en revenir à un film comme Droit d'asile, je pense que c'est formidable à travers un rôle de donner à réfléchir, de souligner notre responsabilité. Je me suis toujours demandé ce que j'aurais fait si j'avais vécu pendant la guerre : aurais-je eu le courage d'être résistante, de risquer ma vie, d'être torturée ? Il y a une valeur sociale dans le métier de comédien. J'ai même joué des personnages abominables, comme dans le film de Wajda, mais le film poussait à une prise de conscience. Je ne joue pas pour être aimée en tant que personne, mais pour qu'à travers un personnage, j'augmente un peu la valeur morale du monde. C'est la première fois que vous venez en Algérie. Vous êtes allée à Mascara où vous avez des racines… J'ai toujours rêvé de venir en Algérie. Je ne suis pas venue pour cette évocation personnelle. Mais quand on m'a proposé de venir pour cette lecture, j'ai demandé si je pouvais prendre un peu de temps pour aller à Mascara sur les traces de ma grand-mère. Elle y est née et y a grandi et, après s'être mariée en France, elle n'était jamais revenue. C'est elle qui m'a élevée et elle m'avait tellement parlé de Mascara. Vous savez, quand l'avion s'est approché de la baie d'Alger, j'ai eu le cœur qui battait incroyablement. A Mascara, c'était la même chose, sinon plus. Mais je suis surtout bouleversée par la gentillesse des gens ici, la chaleur, l'amitié… On a eu quand même des heures noires entre la France et l'Algérie ! Je ne les ai pas vécues, mais je suis émerveillée par la manière dont on a été partout reçus, l'ouverture des gens. Sincèrement, jusqu'ici, de tous les pays où je suis allée, je n'ai jamais ressenti quelque chose de semblable et de cette force-là. Je n'avais pas d'idée préconçue, je ne m'attendais pas au contraire, mais j'étais loin d'imaginer cet accueil ! C'est plus que de la gentillesse, c'est naturel. J'ai donc l'envie de revenir.