Samedi, 15 h : un premier message radio avertit le port des difficultés rencontrées par le navire Béchar. Des dispositions sont prises visant à faire évacuer le navire de ses 18 membres d'équipage. Deux remorqueurs arrivent, mais face à la force du vent et à la taille du navire, ils ne font pas le poids. Le chef mécanicien d'un remorqueur a eu les deux jambes broyées entre deux remorqueurs. « Nous ne pouvions nous risquer à nous approcher davantage. Le navire poussé par les vagues et le vent aurait propulsé les remorqueurs à des kilomètres », explique M. Bounehas de la CNAN. Une seule solution : le sauvetage ne peut être effectué que par voie aérienne. La voie terrestre présente trop de dangers. En attendant, le navire dérive et prend la direction de l'amirauté. Les membres de l'équipage décident tous de monter sur le pont pour attendre les secours. « Nous avons pu garder le contact grâce à un membre qui disposait d'un téléphone portable. » Des tractations sont en cours pour faire dépêcher un hélicoptère de Palma. Il ne sera sur place que vers 4 h du matin. Et il ne pourra rien faire. Le Béchar échouera aux abords de l'amirauté. 13 personnes sont portées disparues, 3 ont été repêchées sans vie, 2 autres ont réussi à être évacuées, blessées mais vivantes. Elles ont passé toute la nuit dans une eau glaciale. Les bourrasques et les creux atteignaient les 10 mètres. Le vent battait force 9, soit 100 km/h. Un autre navire, le Batna, échouera à Alger du côté des Sablettes. On ne comptera aucune victime parmi ses 20 membres. Il continue de tanguer de l'autoroute sous le caprice des vagues houleuses. Des curieux, venus en famille en cette seconde journée des fêtes de l'Aïd, traversent en zigzaguant entre les voitures pour voir de plus près l'énorme machine de ferraille, entièrement rouillée, dont le pavillon algérien tente de menacer les forces de la nature. Avec la survenance de tels événements, des questions s'imposent. Des bateaux en rade ne sont-ils pas plus en sécurité que des navires en mer ? Le sauvetage des membres de l'équipage du Béchar était-il irrémédiablement voué à l'échec ? A la cellule de communication du port d'Alger, M. Bounehas explique : « Le Béchar était allégé, car il n'y avait pas de marchandises dans ses cales. Un navire allégé est plus difficilement maîtrisable et les moteurs ont pris du temps à se mettre en route. Le Batna est plus lourd, car il contient des frets. » Toujours est-il que le navire le plus léger a coulé et l'autre non. A l'Amirauté, à quelques mètres d'une jetée, le Béchar est visible. Ou du moins, les amarres sont encore hors de l'eau. La tempête a causé quelques dégâts matériels à l'Amirauté où un petit immeuble jouxtant la jetée s'est effondré. « On ne pouvait même pas venir jusqu'ici, il y avait de l'eau partout », affirme un garde militaire. Des débris jonchent le sol et témoignent de la violence de la tempête. « Le sauvetage était impossible. Bien sûr que nous aurions aimé les sauver. On ne voyait rien à plus de deux mètres, les vagues happaient tout sur leur passage », continue le garde. Aussi, nous assurera-t-on que les navires de 25 ans d'âge étaient en bon état, sans quoi de nombreux pays étrangers auraient refusé de les laisser accoster chez eux lors d'une livraison. Mais les familles des disparus s'insurgent et ne comprennent pas pourquoi il a fallu attendre 22 h 30 pour amener un hélicoptère de l'étranger. « On n'a pas d'hélicoptère, nous ? », questionne un homme présent à la cellule de crise du port d'Alger. Des questions qui ne trouvent pour l'heure actuelle aucune réponse. Des réponses qui permettront de classer ces événements comme catastrophe naturelle ou accident.