El Oued. Hôpital Benaâmor El Djilani. L'accès au service des maladies infectieuses est strictement interdit, nous fait savoir Karim Azirou, directeur de l'établissement. C'est ici où sont gardés en observation les 22 cas qui subsistent depuis le déclenchement en octobre dernier de l'épidémie de fièvre typhoïde. L'épidémie FT ou A2, comme l'appellent les spécialistes, qui suit actuellement une courbe dégressive, avait atteint à ce moment-là un pic de 120 malades confirmés, obligeant Amar Tou, ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, à faire le déplacement dans la ville pour voir de près l'état de prise en charge des malades et surtout dégager la responsabilité de son secteur et rassurer sur la maîtrise de la maladie. Ce que confirme d'ailleurs, le docteur Zeroual, l'unique infectiologue de la wilaya, responsable du service où sont accueillis les malades. Selon lui, la couverture médicale est satisfaisante, les capacités de l'hôpital sont suffisantes et l'état de santé des malades ne cesse de s'améliorer. Beaucoup ont d'ailleurs quitté l'hôpital. Le seul bémol mis à ce « tout va bien » est motivé par le manque d'un épidémiologue. Un manque qui se fait sérieusement sentir aujourd'hui, vu que la ville est exposée depuis quelques années à l'émergence cyclique d'un nombre d'épidémies. La fièvre typhoïde est une maladie estivale qui se manifeste en automne, période durant laquelle le germe rencontre les conditions idoines pour se développer. Le germe en question, la Salmonella typhi, se transmet dans 99% des cas par l'intermédiaire de l'eau, ce qui classe la FT parmi les maladies à transmission hydrique. Etonnant est le fait que l'épidémie arrive à se déclencher au même moment dans plusieurs communes. Reguiba, à 30 km au nord du chef-lieu de wilaya, a enregistré à elle seule 42 cas cette fois et vient ainsi en tête du classement. Nous avons tenté de nous rapprocher des responsables de la commune pour éclairer ce mystère, mais en vain. Hormis le secrétaire général qui s'épuisait dans son bureau pour démêler une bagarre qui s'était déclenchée devant le guichet de l'état civil, le maire, l'ensemble de ses adjoints ainsi que les membres du service d'hygiène, occupés, nous a-t-on dit, par la campagne électorale, étaient tous aux abonnés absents. Devant l'impossibilité manifeste de trouver un répondant à Reguiba, nous sommes partis du côté de Guemar où l'épidémie a fait 17 victimes en octobre. Au bureau du SG, Abdelhamid Lechlah, nous avons pu rencontrer les premiers responsables de la commune pour parler d'une autre fièvre que celle des élections qui domine là aussi toute l'activité. A l'unisson, nos interlocuteurs ont affirmé que la FT se déclenche dans les régions rurales éloignées de la commune en pointant du doigt le manque d'hygiène et de prévention chez la population. L'APC fait-elle le nécessaire pour remédier à ce déficit ? Suffisamment, ont-ils répondu, avant d'exhiber un avis datant du même jour, imprimé sur du papier de format A3 et destiné à être placardé sur les murs de la ville, appelant la population à observer une batterie de conseils et de mesures préventives pour éviter la typhoïde. Ce n'est pas pourtant l'avis de M. Tou. La maladie des pauvres Le ministre avait rendu les autorités locales, notamment les élus et les services de l'hydraulique, coupables de négligence dans le contrôle de l'eau potable, premier agent de la maladie, notamment la javellisation qui, selon lui, serait appliquée bien en deçà des normes. Il faut savoir que la wilaya importe des quantités importantes d'eau potable chez ses voisins et imposent des contrôles de qualité aux commerçants. Les citernes qui viennent de Biskra sont contrôlées au niveau de la commune de Still, alors que celles en provenance de Bir El Ater, à Tébessa, le sont à l'entrée de Sidi Khelifa. C'est une véritable douane de l'eau que les autorités ont mise en place, mais les risques persistent à cause des fraudeurs sans scrupules qui achètent l'eau en deuxième main, lui rajoutent celle de la nappe et la revendent. Le ministre a aussi nié l'existence de décès dus à la FT. Chose pour laquelle a insisté le Dr Zeroual pour dire que l'employé de Sonelgaz, que la presse locale avait compté parmi les victimes, est décédé des suites d'une autre pathologie qu'il a refusé de nous dévoiler, invoquant le secret professionnel. D'ailleurs, selon lui, la FT ne touche pas les personnes âgées qui arrivent à développer une immunité, au-delà de la quarantaine. En présence du directeur et du spécialiste, nous avons posé la question au sujet des nouvelles mesures de contrôle décrétées par M. Tou après sa visite éclair. La réponse fut négative, car ici comme au service de prévention de la direction de la santé, personne n'est au courant de ces mesures. Néanmoins, au service de prévention, on ne chôme guère, à en croire Saïd Adouka, chef de service. D'emblée, l'accent est mis sur l'absence de culture de prévention chez le citoyen, ainsi que chez les responsables des collectivités locales. Depuis que la FT sévit à El Oued, le service fait une priorité de sa nouvelle mission qui consiste à alerter les autres services sur les fuites d'eau, les cross-connexions et les eaux non traitées. La sensibilisation est également placée en tête des priorités et ce ne sont pas les idées qui manquent. A Guemar, une troupe de théâtre amateur a été chargée de mettre en place une pièce dédiée au sujet et a déjà entamé sa tournée. Des émissions sur les ondes de la radio locale sont lancées, la direction des affaires religieuses est sollicitée pour introduire la question lors des prêches du vendredi, et la direction de l'éducation a été saisie elle aussi pour que le sujet de la fièvre typhoïde et les moyens de l'éviter soient abordés dans les classes. L'élan est enthousiasmant, mais hélas, rien n'indique que ces recommandations soient observées par tous. Le manque de coopération serait même le talon d'Achille de cette volonté, comme souligné à demi-mot par notre interlocuteur. Des milliers de coupoles et de… fosses La ville aux mille coupoles, racontée par Isabelle Eberhardt, dans ses fameux récits de voyage, n'est plus ce qu'elle était depuis que ses paysages façonnés des siècles durant ont cédé devant un modernisme brutal. La gestion du nouveau centre urbain, comme celle des autres communes de la wilaya, n'a pas suivi le rythme démographique soutenu et l'apparition de nouveaux maux, notamment celui de la remontée des eaux des nappes phréatiques. Ces facteurs ont vite fait de mettre à rude épreuve le système traditionnel d'assainissement basé sur les fosses septiques, dont le nombre dépasse aujourd'hui les 60 000, selon les chiffres officiels, répandues sur tout le territoire de la wilaya. Dans la ville d'El Oued, la remontée des eaux, polluées d'abord par les rejets urbains, a ennoyé les ghouts qui cernent la ville, dans des eaux noirâtres et nauséabondes, avant que la population ne vienne en faire des décharges sauvages. Depuis l'apparition, il y a trois décennies de ces phénomènes, le cycle de pollution ne cesse de s'accroître ayant pour principale conséquence la prolifération des maladies en été. La ville désertique est aujourd'hui ennoyée sous les eaux usées, avait écrit l'éminent géographe, Marc Cote, dans son ouvrage Si le Souf m'était conté. Pour parer au plus urgent, les autorités ont initié à partir de 2002 des mesures importantes, à l'image de la mise en place d'une station de pompage « qui récupère au quartier Chott une partie des eaux usées de la ville et la réexpédie par une conduite de 4 km dans une zone d'épandage au Nord. D'autre part, (elles) ont entrepris un programme de remblaiement des ghouts urbains au cas par cas à partir de 2002 », toujours selon Cote. Mais l'ampleur des risques dus au mélange des eaux usées avec l'eau des nappes, utilisée aussi pour les besoins des ménages, ont poussé le gouvernement à initier un projet d'envergure, confié à une société chinoise, pour l'installation d'un vaste réseau d'assainissement dans les communes. Le chantier qui rythme aujourd'hui le quotidien des Soufis et alimente leur espoir devra être réceptionné en 2009. M. Tou avait lié, pour sa part, l'extinction définitive de l'épidémie à la mise en service de ce réseau. Le fait curieux auquel s'est heurtée notre enquête est sans doute la multitude de thèses autour des causes potentielles de l'épidémie de fièvre typhoïde chez les différentes parties concernées de près ou de loin par la chose. En effet, et c'est là que le bât blesse, nul n'est en mesure aujourd'hui d'avancer sa thèse avec certitude en l'absence d'une étude spécialisée pour remonter l'origine de la contamination. La vox populi a naturellement meublé ce vide par le diagnostic formel et surréaliste qui reconnaît le legmi, jus de dattes local, comme origine de la maladie. De toute évidence, le phénomène est loin d'être maîtrisé et la faiblesse de certains maillons fragilise le système censé protéger la santé d'une population entière. Un malade admis à cause de cette fièvre coûte environ 12 millions de centimes au Trésor public. La multiplication de la somme par le nombre de cas de cette maladie des pauvres fait d'elle un ennemi redoutable qu'il est du devoir du pouvoir central de combattre par une stratégie efficace et durable.