La politique salariale pratiquée peut s'analyser comme une sorte d'héritage transmis d'année en année et traduisant l'inertie des habitudes, les pesanteurs sociologiques et les influences politiques. Tant que la croissance économique était rapide grâce aux recettes des hydrocarbures et le surplus à répartir abondant, les modifications du partage ont pu être acceptées par tous parce qu'elles n'étaient pas suffisantes pour mettre en péril l'augmentation générale du niveau de vie ; le pouvoir d'achat des uns s'élevait moins vite que celui des autres, mais il augmentait tout de même. Mais dès que les recettes d'hydrocarbures baissent et que le surplus à répartir se tarit, il sera difficile, pour ne pas dire impossible, de corriger certains écarts de revenus sans porter atteinte au niveau de vie des diverses catégories, même parmi les plus défavorisées. Le climat social tend à se dégrader et cela d'autant que la récession économique et l'extension du chômage font surgir de nouvelles inégalités et diffusent un sentiment général d'insécurité et d'impuissance. Les enjeux économiques sont aujourd'hui si essentiels qu'ils occupent une place prépondérante dans le débat politique. Il n'y a pas d'équilibre de l'économie sans un minimum de paix sociale, pas de croissance possible sans adhésion de la population et pas d'adhésion sans motivation à la production et à la gestion. Un lien étroit est à rechercher entre salaire/production et entre profit/investissement. Les gens sont partout les mêmes : sécurisés, motivés, laissés libres de percevoir le fruit de leurs efforts, les Algériens travaillent, épargnent et investissent. Fondamentalement, l'équilibre de l'emploi fait partie de l'équilibre économique. Le niveau de l'emploi et le volume du chômage dépendent du niveau d'activité. L'inflation et le chômage apparaissent dès lors comme les deux régulateurs de l'articulation entre l'économie et le social. Force nous est de constater que la rente pétrolière et gazière a tendance à financer des emplois improductifs de façade et à détruire des emplois permanents fondamentalement productifs d'un bien-être social durable. Trois décennies de gestion étatique par la rente énergétique relayée par l'endettement nous enseignent deux choses : La première, c'est que l'absence de toute forme de responsabilité juridique de l'Etat vis-à-vis des opérateurs économiques privés ne peut aboutir qu'à un retrait, voire une paralysie des interventions économiques privées du moins du champ productif ; la seconde, c'est que la recherche touts azimuts de l'engagement de la responsabilité étatique débouche nécessairement sur une paralysie des opérateurs publics d'où le gel en définitive du mouvement historique de la formation économique et sociale algérienne. L'expérience algérienne montre que la rente énergétique et les capitaux empruntés engendrent une capacité réelle des dépenses improductives et laisse entier le problème d'une capacité propre de générer des ressources propres. Si des changements fondamentaux n'interviennent pas dans nos habitudes de gestion, de production et de consommation, nous courons vers un effondrement spectaculaire de l'activité économique et une paupérisation croissante des larges couches de la population, y compris les couches moyennes à l'heure de la mondialisation et de l'adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Le secteur public, assaini et revigoré, peut amorcer une relance grâce à son aptitude à la synthèse entre les objectifs économiques et les contraintes sociales. Il incite à l'effort économique par les avantages sociaux et il permet la distribution de ceux-ci grâce à la croissance de la production, pour peu que certaines mesures courageuses, transparentes et justes soient prises. Car si la rente énergétique permet à la société de se reproduire sur la base de rapports de distribution, le travail par contre lui permet de se reproduire sur la base de rapports de production. C'est dire que le développement n'est pas une affaire de devises mais une question d'hommes. Des hommes porteurs d'idées et non de valises. En guise de conclusion, ne serait-il pas possible d'imaginer et de mettre en œuvre un projet national porteur d'un développement durable mobilisant les énergies d'une jeunesse désœuvrée à la force de l'âge, d'une intelligence à peine éclose, vite mise en rebut ou poussée vers l'exil, des fortunes privées en mal de légitimation pour faire des « 30 milliards de réserves de change un Produit intérieur brut (PIB) de 300 milliards de dollars » par la création de 100 000 entreprises productives publiques ou privées, « qu'importe la couleur du chat pourvu qu'il attrape la souris » dit un proverbe chinois, animées par des gestionnaires sobres et austères, au lieu de dilapider notre énergie dans des querelles intestines de partage socialement improductives, financièrement ruineuses et politiquement explosives ? Pour ce faire, que faut-il relancer ? L'offre d'emplois ou la demande de biens importés ? L'investissement productif ou la consommation de luxe ? La dépense publique ou l'épargne privée ? Les infrastructures de base ou les réformes structurelles ? La multiplication des « pétro-dinars » ou la création de « labodinars » ? Le tout-Etat des années 1970 ou le tout-« marché » des années 1980 ? La consommation des produits importés ou la production des biens et services locaux ? Vœu pieux pour les uns ; défis à relever pour d'autres ? Qui sont les uns ? Qui sont les autres ? Novembre 1954, novembre 2004, cinquante ans après, l'histoire va-t-elle se répéter ? Qui va entrer dans l'histoire ?