Depuis les récents attentats kamikazes qui ont touché Alger par deux fois et une caserne à Dellys, les deux responsables sécuritaires, le ministre de l'Intérieur et le patron de la DGSN, se sont exprimés, l'un évoquant la « baisse de vigilance » au sein des services de sécurité, le second en menaçant ses propres troupes de « purge ». Mais à aucun moment, même en se targuant des résultats obtenus par les services de sécurité, MM. Zerhouni et Tounsi n'ont employé le mot « coordination » en parlant du travail de renseignement, la colonne vertébrale de la lutte antiterroriste. Pour rappel, le ministre de l'Intérieur a révélé le 12 décembre, au lendemain du double attentat kamikaze, que les services de sécurité (lesquels ?) savaient que le Conseil constitutionnel faisait partie des cibles des terroristes. Comment expliquer alors que l'attentat a eu lieu ? Comment expliquer que les autorités n'ont pas donné suite aux demandes des responsables locaux de l'ONU pour renforcer la sécurité de leur siège à Hydra ? Même la commune était destinataire de ces demandes – notamment pour fermer la rue à la circulation ! Alors que s'est-il passé ? Zerhouni refuse d'entendre parler de « défaillance ». Mais force est de constater que quelque chose ne tourne pas rond dans le dispositif sécuritaire. Deux explications sont avancées par des observateurs. D'abord la démobilisation des différents services de sécurité depuis le début des années 2000. Otages du discours sur les processus de concorde civile puis de la charte pour la paix et la réconciliation nationale, plusieurs responsables des services de sécurité ont adopté la vision d'un terrorisme finissant et prophétisaient une réorientation de leur lutte vers le grand banditisme. En juillet 2002, le directeur de la DGSN déclare suite à des attentats ciblés dans la capitale : « Il est vrai que quelques terroristes se sont manifestés ces derniers jours, mais on va certainement liquider le problème. Celui qui surgira concerne la nouvelle criminalité organisée qui rackette les commerçants et qui n'a rien à voir avec le terrorisme (...) Il reste quelques égarés qui continuent de tuer pour de l'argent, mais il n'y en a pas beaucoup. Nombreux sont ceux qui se sont rabattus sur le crime organisé. » L'autre grande tendance expliquant les surprises d'Al Qaïda au Maghreb reste le manque de coordination entre services quant au ciblage, à la collecte, au traitement et à la circulation de l'information. L'Algérie a été citée comme cas d'école en cette matière durant les années 1990, car la lutte antiterroriste avait été centralisée par l'ancien chef d'état-major de l'armée, le général Mohamed Lamari. Chaque service, le DRS, la Sécurité de l'armée, la police, la gendarmerie, le contre-espionnage, etc., gardait ses propres modes opératoires tout en conjuguant ses efforts selon un plan d'action unifié. Cela a permis d'ailleurs la neutralisation du FIDA, la destruction du QG des GIA à Aïn Defla, etc., pour ne citer que les opérations les plus spectaculaires. Or, depuis et sous le prétexte de décréter la fin officielle du terrorisme, et dans le climat de purges qui ont poursuivi plusieurs cadres des services de sécurité soupçonnés de lèse-majesté durant l'épisode de la présidentielle de 2004, la communauté sécuritaire a connu changements et bouleversements. Ventilations des éléments de la BMPJ, fer de lance de la DGSN, dissolution en 2006 du Service central de répression du banditisme (ex-ONRB), remplacement des officiers de terrain ayant cumulé une importante expérience, ambiguïté du rôle et du statut de la garde communale et des GLD, etc., autant de facteurs qui ont déstabilisé le dispositif sécuritaire. L'exemple du SCRB est édifiant, d'anciens officiers de ce service, créé en 1992, révélaient à la presse en 2006, quelque temps après la dissolution de l'ex-ONRB, que « le SCRB disposait d'un fichier national du terrorisme identifiant les terroristes fichés dans les 48 wilayas du pays (...) Avec la disparition du SCRB, les terroristes ont gagné 50% de la guerre psychologique ». La disparition de tout un pan du dispositif répressif des années 1990 a été accompagnée par un autre mouvement tout aussi inexplicable : l'annexion au ministère de l'Intérieur, par décret exécutif publié au Journal officiel du 3 avril 2002, d'une direction de la coordination de la sécurité du territoire, une structure inconnue de l'opinion publique. Une mainmise analysée à l'époque comme une tentative d'amarrer les structures de sécurité à des objectifs politiques conjoncturels. Un ancien haut gradé de l'armée avait prévenu contre ces tentatives, il y a six ans : « Pour quelles options et à quel moment changer radicalement de stratégie sans que cela soit perçu comme une catastrophe dans le domaine de la stratégie et dont l'implication serait la perte de maîtrise et de contrôle par l'Etat du processus d'évolution de la situation politico-sécuritaire ? » A-t-on alors choisi le « mauvais moment » ?