La seconde page d'Elham Mansour (1) est un très beau roman, disons-le tout de suite, de par sa vérité et surtout de la patiente volonté d'y voir clair, d'entendre clair. Entendre, oui, car ce sont des voix féminines qui résonnent et se croisent dans ce livre. Et celle de Hiba est la plus nette, la plus précise, la plus insistante, une voix exploratrice qui désigne le présent, remonte le temps, recompose le passé à travers un étoilement de scènes, d'indices, de mots lumineux et déchirés, comme il arrivait déjà dans Hiba : le voyage du corps » (2), toujours plus ouvert aux échos de « la vie intime » des femmes. Le départ est simple. C'est une situation « arrangée » entre Hiba et Elham, une situation livrée dans son exemplaire nudité. La rencontre, entre ces deux amies, bien qu'amenée, portée plutôt, par deux visions —celle de la romancière et celle de son héroïne — est décrite avec une « exactitude », parfois complexe, où tout un dialogue « philosophique » s'engage sur la condition des femmes cultivées, modernes dans la société libanaise. Et l'on voit, comme venues des profondeurs silencieuses du temps, Hiba et Elham s'avancer l'une vers l'autre : « Déjà de ton côté, je le devine, tu approches sans que je t'aperçoive. » Ainsi les deux amies (la romancière et son héroïne ?) sont très près l'une de l'autre, mais aussi prodigieusement éloignées. Hiba (l'héroïne) est toujours là sans être là et Elham, l'amie veut toujours la rassurer. Confrontation donc, mais dont l'enjeu est autrement vital que dans celle de la justice, puisque la vérité à mettre à nu ici est celle d'un dialogue fructueux fait de la parole et du silence interposés entre deux femmes, parfois séparées par un malentendu mais liées par l'amitié et le même combat. La seconde page est un roman construit sur une architecture simple, conçu comme autant de « rounds » où dialoguent deux femmes modernes et cultivées, nommées Hiba et Elham. Ce qui retient le lecteur averti dans ce roman, c'est la parfaite structure dichotomique qui le définit. L'autre roman d'Elham Mansour, que j'ai lu avec plaisir, est aussi beau que La seconde page. En effet, Avec l'autorisation de la Genèse, fait sienne « La cause des femmes » dans une société troublée et troublante : la société controlée par « la botte du masculin ». Un masculin nommé « homme » arabe, (toutes proportions gardées). Un homme atavique, sous-développé. Pour lui la femme n'est qu'un « sexe », « un sexe faible ». Avec l'autorisation de la Genèse, est le dedans et le dehors, l'envers et l'endroit, le principe de plaisir et le principe de réalité. Elham Mansour casse tous les tabous : les lesbiennes (oh combien maudites dans la société arabe !) sont une réalité, un défi aux hommes, à la société hypocrite qu'ils ont façonnée. Les profondeurs remuées (celles des femmes surtout) ici, paraissent d'abord celles du corps. Mais très vite, on découvre à travers les dialogues des personnages « féminins », que le corps n'est que « l'autre face » ou plutôt la face visible de l'iceberg, du psychique. Dans les romans d'Elham Mansour, les femmes libanaises (plutôt toutes les femmes) trouvent « leurs soucis » exposés, analysés. Ils sont, en effet, des « livres étranges », de curieux « féminaires » où leur sont révélés beaucoup de choses, à commencer par les lois secrètes qui régissent leur « espèce » et surtout la merveilleuse, la fascinante symbolique de leur sexe. 1- Romancière libanaise et professeur de philosophie à l'université de Beyrouth. Elle a publié huit romans et plusieurs essais. 2- Deuxième roman de l'écrivaine.