Les événements conflictuels que connaît actuellement la société algérienne nous interpellent indubitablement quels que soient notre place, notre rôle et notre statut dans la sphère psychosociale. En effet, comment peut-on interpréter les grèves déclenchées ces jours-ci par divers acteurs de la vie sociale ? Traiter ces manifestations d'insatisfaction et de colère par l'ignorance et le mépris est-ce la solution la plus efficace et la plus productive pour tous ? Que peut-on faire, lorsque la porte de sortie à ce genre de situations dramatiques ne réside ni dans la satisfaction totale, pour diverses raisons, des revendications affichées, ni dans leur rejet et encore moins dans leur déni fondamental. La colère, d'où qu'elle vienne, n'est jamais fortuite et est toujours le signe, non seulement d'un mécontentement profond mais également la marque d'une souffrance personnelle ou collective qui n'a pas su ou pu s'exprimer par d'autres canaux que l'agressivité et la revendication brutale et ouverte. Pour ma part, j'ai choisi de tenter d'expliquer ces conflits sociaux sous un tout autre angle de vision en croyant dur comme fer que la solution à ce type de difficulté peut résider, entre autres, dans le fait d'avoir recours à l'outil magique de la communication relationnelle. N'est-il pas en effet symptomatique de la part des pouvoirs publics de refuser de dialoguer avec des instances représentatives des différents personnels des administrations publiques alors que ces syndicats sont non seulement agréés par ces mêmes pouvoirs publics, mais également, et surtout, ont prouvé sur le terrain leur capacité à mobiliser de façon significative les personnels qu'ils sont censés représenter ? Si l'on en croit les chiffres donnés par la presse, cette mobilisation a tout de même rassemblé 80% et plus de ces personnels. Si nous ne discutons pas avec ces représentants, avec qui alors faudra-t-il prendre langue ? Les citoyens lambda que nous sommes comprendraient aisément que les instances dirigeantes du pays n'acceptent de discuter qu'avec le seul syndicat qu'ils reconnaissent officiellement, en l'occurrence l'UGTA, à condition que ce dernier prouve effectivement qu'il est le seul représentant légitime et légal de ce beau monde. Or, les faits étant têtus, le terrain nous montre tout le contraire. Ce qui signifie que ces mêmes pouvoirs publics ne peuvent continuer à ignorer superbement les faits qui s'imposent à eux et à commencer à apprendre à composer avec eux, même à leur corps défendant. Nous ne pouvons, raisonnablement, dénier à ces personnes l'un des droits les plus élémentaires de l'être humain, à savoir celui d'être écouté. Les Algériens, dans leur grande majorité, attachent, qu'on soit d'accord ou pas, une importance particulière à leurs services publics qui jouent dans notre pays un rôle essentiel et qu'ils souhaiteraient les voir, bien entendu, plus performants et plus productifs. Ils ont conscience que ces services (tous secteurs confondus) souffrent de dysfonctionnements très sérieux et traversent ainsi une réelle crise, d'où les conflits sociaux que l'on observe. Néanmoins, il n'y a pas de fatalité à cette crise multiforme. Pour autant que nous sachions (particulièrement ceux qui sont aux commandes stratégiques), nous pouvons encore organiser l'évolution de ces services de manière démocratique et calme. Mais pour cela, il y a un prix à payer ! La transparence, tant évoquée à tort et à travers d'ailleurs par tout un chacun, consiste en fait à regarder les réalités en face. D'où un changement important des attitudes et du comportement de nos responsables (qu'ils soient politiques ou économiques). Lorsqu'il y a un malaise social, il y a lieu de le traiter intelligemment et de façon ouverte avec les concernés. Cette méthode nouvelle n'est bien sur pas sans risque, mais elle comporte moins de danger que l'autosatisfaction ou le repli sur soi ou encore l'indifférence fatale. Lorsqu'une certaine réalité s'impose, être capable de changer de comportement est un signe de bonne santé mentale et d'équilibre psychique sain, sinon c'est la mort qui nous attend. Si nous voulons piloter le changement (car c'est de cela qu'il s'agit) sans drame, il faut communiquer sans fard, inventer des solutions adaptées et innovantes en fonction de chaque type de situations et surtout faire confiance pour éviter de vivre et de travailler avec un sentiment d'« intranquillité » permanente. Le conflit. qu'il soit de type personnel ou social, est toujours un rapport de force (entre des instances intrapsychiques ou des représentations institutionnelles et sociales), dont l'enjeu est d'imposer un point de vue à un tiers et/ou le dominer. Tout conflit est donc un mélange d'enjeu rationnel et logique (rémunération, statut particulier. avenir professionnel...), d'inconscient et de refoulé. Lorsque le conflit s'installe et que rien n'est fait de part et d'autre pour faire baisser la pression, alors l'« énergie » du conflit va grandir dans le temps, d'abord par des rumeurs (conflit larvé), puis en phase ouverte (visible à l'extérieur) avant de « pourrir » à un niveau d'énergie qui peut être important et désastreux. Et c'est là justement que la pratique de la communication relationnelle peut s'avérer d'un apport sans limite. En fait, plus nous essayons d'ignorer quelque chose ou quelqu'un, plus nous aurons besoin d'énergie pour continuer à l'ignorer. Voyons ce qui arrive si nous nous interdisons de regarder un défaut sur le visage de quelqu'un. Nous l'ignorons toujours ? Parfait ! Maintenant ignorons que nous sommes en train de l'ignorer. Vous verrez alors l'effet immédiat que cela provoque. La relation est simple : le changement dérange, nous pourrions même dire que le changement bouleverse en l'absence de communication ; changements rapides, incertitudes, mondialisation, diversité de toutes sortes, concurrence, privatisation.... Dans une période de confusion telle que celle que vit actuellement le citoyen algérien, nous sommes devant un brouillage des repères. Les anciennes balises familiales et sociétales caractérisées par leur niveau de stabilité et leur visibilité n'orientent plus. Elles se sont délitées imperturbablement avec les coups de boutoir du temps. Les nouvelles, elles, ne sont pas encore là, elles sont encore en construction, en cours de définition dirait-on, l'édifice est en voie mais n'est pas encore achevé (le sera-t-il un jour ?). Quand les choses deviennent aussi difficiles, lorsque la machine s'emballe, nous avons alors besoin de dirigeants avisés, réfléchis et oh combien communicatifs. Nous n'avons pas besoin d'eux quand tout va bien. Il est simple d'être un bon dirigeant et un gestionnaire correct quand la situation est bonne. Mais c'est une autre affaire de mener sa barque dans les périodes d'incertitude, lorsque les situations paraissent bloquées ou que le chaos risque de s'installer. Or, c'est dans ces moments-là que les leaders avisés font la différence. Si nous ne faisons que peindre ce qui existe, nous n'avons pas grand mérite, car n'importe qui peut le faire. Le véritable secret est de peindre ce qui n'existe pas ! Mais quelle relation me diriez-vous avec la communication et avec les événements cités ? La réponse est qu'il n'y a tout simplement pas de dirigeants efficaces sans communication. La communication est aux dirigeants ce que l'eau est aux poissons et l'air aux oiseaux. La bonne nouvelle, c'est qu'une communication productive peut presque tout résoudre. La mauvaise nouvelle c'est que la plupart d'entre nous n'ont que peu développé leurs compétences en la matière. Car, contrairement à une idée fausse largement répandue, le fait de communiquer n'a rien à voir avec le fait de parler et d'exprimer à longueur de journée des discours creux et des idées incantatoires. La vraie communication, celle qui produit des résultats, celle qui favorise et catalyse les changements, celle qui permet d'apprendre à vivre ensemble malgré nos différences, c'est celle qui passe d'abord et avant tout par les attitudes et les comportements et pas uniquement par les mots. A titre d'exemple, tout un chacun remarque à l'évidence que nous ne savons plus écouter. Or la caractéristique fondamentale, la voie royale de la communication, c'est avant tout l'écoute de l'autre. Lorsqu'on écoute réellement et sincèrement, nous générons nécessairement de l'action positive. Aussi, en changeant notre façon de communiquer, donc d'écouter, et de surcroît, de nous comporter, nous développons en nous le pouvoir de transformer la réalité et nous-mêmes avec. Etre écouté signifie être pris au sérieux, que nos idées et émotions soient reconnues et surtout que ce que nous avons à dire compte. Quand quelqu'un estime que ce que vous dites a de l'importance, vous agissez comme si ce que vous faisiez avait de l'importance. L'écoute est l'investissement le plus astucieux (non compris dans un sens manipulatoire), et le plus précieux pour les dirigeants de toutes sortes et en particulier les politiques. En écoutant les nouveaux points de vue, nous aurons de nouvelles idées, en écoutant ceux qui sont sur le terrain, nous pouvons envisager alors les meilleurs solutions à nos problèmes, en écoutant nos partenaires et nos concurrents, nous trouvons ce qui manque à notre réussite. En apprenant à écouter, il se peut même que nous découvrions des choses dont nous ne soupçonnons même pas l'existence. Car le fond du problème est souvent que les gens ignorent tout simplement ce que disent les autres. Or ignorer une personne ou un groupe ou une institution ou a fortiori, des représentants sociaux, n'est ni plus ni moins qu'un déni d'existence. Cela constitue l'arme ultime pour déshumaniser une personne. Je forme le vœu que nos dirigeants reprennent du poil de la bête et évitent de nous laisser sombrer dans cette déshumanisation. L'auteur est psychologue