Le leader des Druzes, député de la majorité et chef du Parti socialiste progressiste, Walid Jomblatt, vit reclus chez lui à Beyrouth. Il faut passer par plusieurs contrôles avant d'atteindre sa maison. « C'est l'état de siège », ironise l'un des dirigeants les plus importants du bloc du 14 Mars. Comment analysez-vous les affrontements du « dimanche noir » à Chiyah ? Ce qui s'est passé est regrettable, parce qu'il y a eu des victimes civiles. On demande à l'armée d'ouvrir une enquête. Je rappelle que des événements similaires se sont déjà produits. Parfois, cela se passait pacifiquement, mais parfois l'armée était obligée de tirer. Mais là, les événements ont eu lieu le même jour que la réunion ministérielle de la Ligue arabe au Caire. On voulait capter l'attention de la réunion. Mais nous laissons le soin de l'enquête à l'armée. Car si on continue de semer le doute sur le gouvernement, la fermeture du Parlement, la vacance de la présidence de la République, que restera-t-il ? Il ne reste que l'institution militaire, qui défend les Libanais et le Liban. Ces événements avaient-ils pour but d'atteindre la personne du chef de l'armée, le général Michel Sleiman et de faire tomber sa candidature à la présidence ? C'est vrai. Si la manifestation était réellement revendicative comme le dit l'opposition, il faut savoir que l'électricité est coupée partout. L'électricité n'a pas d'allégeance aux chiites, aux sunnites ou aux chrétiens. En fait, l'opposition est liée à la volonté syrienne. Il semble que la Syrie ne veut pas de président. Damas veut le vide, pour se venger des Libanais et surtout que nous sommes dans le processus de constitution du tribunal international sur l'assassinat de Rafic Hariri. La Syrie veut un président qui lui fasse allégeance. Nous, nous ne voulons pas d'un président agent des Syriens, mais d'un président avec des relations normales avec la Syrie. Justement, la réunion du Caire, dimanche dernier, a-t-elle été un échec ? Lors de la réunion de la Ligue, les Arabes se sont divisés en deux parties. Une partie a soutenu le régime syrien, comme le Qatar, Oman, l'Algérie et la Libye. En face d'eux, des pays qui veulent élire un président au Liban sans conditions comme l'Arabie Saoudite, l'Egypte, la Tunisie et les autres pays arabes. D'ailleurs, je ne comprends pas pourquoi un pays comme l'Algérie avec qui nous entretenons de très bons rapports ne reconnaît pas l'indépendance du Liban. Le Liban risque-t-il de sombrer encore une fois dans la guerre civile ? Il n'y aura pas de guerre civile, mais le citoyen qui habite Aïn Remaneh (quartier chrétien) ne peut supporter qu'on attaque sa maison ou son quartier. Nous croyons tous à l'armée et nous ne doutons jamais de cette institution. C'est important. Ne faut-il pas faire des concessions de part et d'autre pour éviter de nouveaux accès de violence ? Quelles concessions ? Parce que nous ne parlons pas d'une opposition normale. Il s'agit d'une opposition qui détient un arsenal de missiles et d'armements, qui contrôle des régions du pays où l'Etat ne peut intervenir qu'en négociant, qui décide de la guerre et de la paix et qui suit un agenda qui n'est pas libanais mais syrien et iranien. Le rapport israélien Vinograd (sur la conduite de la guerre de juillet 2006) vient d'être rendu public. C'est bien. Mais ce n'est pas vrai que l'opposition sont les « gens de la victoire ». Ils ont quitté le gouvernement sous prétexte que ce gouvernement a comploté contre eux, alors que la vraie raison c'est le tribunal international. Les dirigeants de Amal et du Hezbollah ne veulent pas se retrouver à co-signer la création du tribunal international qui pourrait affaiblir le régime syrien. A chaque étape de la constitution du tribunal international, la violence monte d'un cran. En plus, il y a des menaces ciblant la Finul, lancées par Chaker Al Abssi (chef de Fatah El Islam) qui a menacé l'armée et nous a traités de « croisés ». Même Ben Laden a menacé le gouvernement Seniora. Mais le terrorisme ne nous tombe pas du ciel. Il arrive ici à travers nos frontières avec la Syrie. Voilà le problème, la Syrie ne reconnaît pas le Liban, sauf comme une province. Avant la guerre de juillet 2006, on s'était mis d'accord avec l'opposition pour normaliser les relations avec la Syrie, définir les frontières, étudier le problème de l'armement des camps palestiniens, etc. Puis il y a eu la guerre. Et un jour après le cessez-le-feu, Bachar Al Assad accuse Seniora d'être un produit israélien ! Est-ce que le blocage actuel veut dire aussi que le système politique confessionnel libanais a montré ses limites ? Les accords de Taef (qui ont mis fin à la guerre civile en 1990) ont esquissé un équilibre politique précis entre chrétiens et musulmans. Le Liban est beau grâce à cette variété unique dans le monde arabe. C'est ce qui a donné cette liberté, cette presse plurielle, cette démocratie. Il n'est pas opportun aujourd'hui de parler de déconfessionnaliser le système politique. Celui qui veut annuler les accords de Taef, veut imposer un modèle syrien, dictatorial, ou le modèle iranien d'exclusion. Amr Moussa a prévenu contre une intervention étrangère ou une intervention au niveau du Conseil de sécurité si jamais il n'y a pas d'élection le 11 février… Tout ce que nous voulons est l'élection du président de compromis qui est le chef de l'armée. Cette armée qui a combattu à Nahr El Bared et qui a protégé la résistance durant la guerre de juillet 2006. Michel Sleiman est un homme propre. Mais la Syrie ne veut pas d'un président indépendant d'elle. L'important pour nous est d'élire un président, précisément le général Michel Sleiman, et ensuite on négociera selon la conjoncture et la composition du gouvernement.