Le président algérien visite Moscou pour la deuxième fois en sept ans. S'il aura des discussions avec un chef d'Etat partant, il aura à relancer « le partenariat stratégique » établi entre les deux pays et à essayer de régler des différends liés à l'énergie et à l'achat d'armement. Abdelaziz Bouteflika sera probablement le dernier chef d'Etat reçu par le président russe à Moscou. Vladimir Poutine, qui a choisi de ne pas amender la Constitution pour briguer un troisième mandat, quittera le Kremlin après les élections présidentielles du 2 mars 2008, date anniversaire de Abdelaziz Bouteflika qui aura 71 ans et qui veut réviser la Loi fondamentale pour succéder à lui-même au palais d'El Mouradia. Le protocole de la présidence algérienne aurait pu prendre en compte cette donne pour permettre à Abdelaziz Bouteflika de discuter avec la nouvelle direction du pays. Même si Vladimir Poutine, 56 ans, pourrait reprendre le poste qu'il occupait déjà en 1999 : Premier ministre. Il voudrait par cette attitude épauler Dimitri Medvedev, candidat de quatre partis dont Russie Unie, la formation de Vladmir Poutine, qui se présentera face à quatre autres postulants à l'image de Guennadi Ziouganov du Parti communiste (KPRF), principal parti d'opposition. Les observateurs s'accordent à prédire une victoire de Dimitri Medvedev, 43 ans, vice-Premier ministre et ancien patron du géant Gazprom. Gazprom, qui a ouvert un bureau à Alger, autant que l'autre géant, Loukoïl, dans la perspective d'un renforcement de la coopération dans le domaine énergétique. Sonatrach n'a toujours pas décidé d'ouvrir une représentation à Moscou. Les dirigeants des firmes russes ont visité à plusieurs reprises l'Algérie à partir de 2006. Les ministres de l'Energie des deux pays, MM. Khelil et Khristenko, se sont également échangés les visites. « Il est d'intérêt commun de coordonner les efforts pour une meilleure pénétration sur les marchés du pétrole et du gaz, y compris en Europe, de défendre (...) les intérêts des producteurs, en tenant compte de ceux des consommateurs (...). Le dialogue énergétique se déroule d'une façon transparente, tenant compte des préoccupations légitimes des producteurs, des investisseurs et des consommateurs », a rassuré, dans une interview à El Watan en juin 2007, l'ambassadeur de Russie à Alger, Alexander Egorov. Mais l'accord stratégique portant sur la prospection, l'extraction, le transport et la commercialisation du gaz naturel, établi en 2006 entre les deux pays, n'a pas été appliqué. Il a été tout simplement annulé par Alger d'une manière unilatérale. Discrètement, Mohamed Meziane, directeur général de Sonatrach, a communiqué l'information au quotidien financier américain The Wall Street Journal. Sans trop de détails, il a parlé de difficultés juridiques. Le journal des affaires russe Kommersant a vite trouvé l'explication. « La déclaration surprenante du patron de Sonatrach intervient peu après la visite officielle en Algérie de Nicolas Sarkozy (en décembre 2007, ndlr). Ce dernier a annoncé la signature de contrats en Algérie pour 5 milliards d'euros, avant tout sur le gaz naturel. Ainsi, Gaz de France a conclu un accord pour la fourniture de gaz naturel liquéfié par Sonatrach jusqu'en 2019 », a écrit le journal. Abdelaziz Bouteflika, qui revient une seconde fois à Moscou après une première visite en 2001, aura à discuter de cette épineuse question. Moscou ne comprend pas l'attitude d'Alger au moment où tout le monde salue « la déclaration de partenariat stratégique » qui lie les deux pays et dont l'énergie est le ressort essentiel. L'Algérie et la Russie, avec la Norvège, sont les principaux fournisseurs en gaz de l'Union européenne (UE). La concertation entre Moscou et Alger avait quelque peu agacé les Européens qui n'ont pas manqué de l'exprimer. L'UE attend toujours une signature d'« un partenariat énergétique » avec l'Algérie et craint que Moscou utilise le gaz comme « une arme politique ». En juin 2008, les membres du Forum des pays exportateurs de gaz (FPEG), dont l'Algérie, se réuniront à Moscou pour lancer, théoriquement, les premières bases de la future OPEP du gaz. Sur ce dossier, l'Algérie devra préciser sa position puisque Chakib Khelil a, à plusieurs reprises, exprimé ses réserves sur ce projet, allant à contre-courant du point de vue de Abdelaziz Bouteflika. L'Iran et le Venezuela sont favorables à ce projet fortement contesté par les Etats-Unis et l'UE. L'Algérie, qui possède deux réacteurs atomiques expérimentaux, montés grâce à une aide chinoise et argentine, souhaite profiter de l'expérience russe dans le domaine pour lancer, sur le long terme, un programme nucléaire civil. En la matière, l'Algérie a déjà un certain appui des Etats-Unis et de la France. Une nouvelle loi sur l'énergie atomique est prévue pour cette année et prévoit la construction de centrales nucléaires dont le nombre n'est pas encore précisé. Cependant, la concurrence sur le marché algérien semble forte dans ce domaine. Si le communiqué officiel annonçant le déplacement du président algérien à Moscou évoque « la relance de la coopération » bilatérale, c'est une manière diplomatique de dire que quelque chose ne tourne pas rond. « Les entreprises russes rencontrent de plus en plus de difficultés en Algérie, considérée jusqu'ici comme le partenaire privilégié de Moscou en Afrique », a remarqué Kommersant. La Russie n'a pourtant signé qu'avec deux pays la déclaration de partenariat stratégique : l'Algérie et l'Inde. « Cette visite est perçue comme une nouvelle occasion et une visite charnière pour impulser un partenariat stratégique moderne, susceptible de donner un nouvel élan à la dynamique actuelle de développement des deux pays », a déclaré hier à l'agence officielle APS l'ambassadeur de Russie à Alger. « Relancer », « donner un nouvel élan » sont-ils la traduction d'une volonté politique ou plutôt l'expression de l'existence d'un certain froid entre les deux pays ? Abdelaziz Bouteflika aura un autre dossier lourd sur la table : l'armement. L'Algérie, qui a bénéficié d'une reconversion de la dette en obligation d'achat de produits russes (plus de 4,5 milliards de dollars), a signé deux gros contrats d'achat de matériel de guerre de la Russie. Même si le montant n'a pas été annoncé publiquement, ces marchés sont importants puisqu'il s'agit de 14 milliards de dollars. L'Algérie devient, avec l'Inde, le principal client de l'industrie militaire russe. « La coopération bilatérale dans les domaines essentiels de la défense et de la sécurité est une tradition de longue date entre l'Algérie et la Russie (...). Il est à prévoir d'autres contrats d'un niveau élevé dans un proche avenir. La situation mondiale et les impératifs d'une réponse efficace à des défis du nouveau siècle nécessitent une modernisation rapide des instruments et des moyens de la défense. La Russie est là pour apporter son soutien à l'Algérie, pays ami », a déclaré à El Watan l'ambassadeur russe dans l'interview citée plus haut. Des difficultés existent dans la livraison d'avions de chasse Mig. L'Algérie accuse le fournisseur russe d'avoir expédié des appareils ayant déjà servi. Le contrat serait suspendu. Le litige a été étudié par la commission de coopération militaro-technique dirigée par Vladimir Poutine (ex-lieutenant-colonel du KGB). « Nous avons rédigé une réponse officielle, mais n'avons pas réussi à la transmettre au président algérien, même par le biais de son ambassadeur, déclare le représentant du service fédéral de coopération militaro-technique. La partie algérienne ne donne aucune suite », a confié une source militaire à un journal moscovite. Abdelaziz Bouteflika va-t-il régler le différend ? Ou se comportera-t-il comme un président de la République et pas comme un chef suprême des forces armées ? On sera probablement fixé à l'issue de la visite officielle.