La construction du palais du Bey a commencé en 1826 sur une initiative de Hadj Ahmed, le dernier bey de Constantine. Il s'étendra sur une surface de 5609 m2. Dans l'ouvrage collectif, sous la conduite de Fatima-Zohra Guechi Constantine, une ville, des héritages, les détails de sa construction illustrent la majesté du palais. Pour sa construction, Ahmed Bey a eu recours à deux artistes réputés, El Hadj El Djabri, originaire de la ville et le Kabyle El Khettabi. Les bâtiments, d'ordonnance assez irrégulière, s'organisent autour de deux jardins spacieux et de deux cours plus petites. Au milieu, se trouve le kiosque du Bey qui, éclairé de tous les côtés par des fenêtres, permettait une surveillance active. C'est dans ce palais que le harem était logé. Pour construire son palais, Ahmed Bey n'hésitera pas à utiliser des matériaux de toutes provenances. Les colonnes et autres pièces de marbre furent achetées en Italie et transportées par l'entremise du Génois Schiaffino, de Livourne à Bône, où les attendaient des caravanes de muletiers et de chameliers. Le bois de cèdre fut demandé aux tribus des Aurès et de la Kabylie et les pierres de taille prélevées sur les ruines de l'antique Cirta. Cela ne suffit pas, et le Bey réquisitionnera tout ce que les principales habitations de Constantine possédaient de remarquable comme marbre, faïence, colonnes, portes et fenêtres. Le palais devint ainsi comme un musée de pièces les plus curieuses et les plus riches en menuiserie et sculptures. Ce palais, qui fût achevé en 1835, sera ensuite occupé par l'armée française deux ans plus tard et a même été visité par Napoléon III. L'écrivain Guy de Maupassant en parlera en termes élogieux, en disant : « Mais nous voici devant le palais de Hadj Ahmed, un des plus complets échantillons de l'architecture arabe, dit-on. Tous les voyageurs l'ont célébré et l'ont comparé aux habitations des Mille et Une Nuits. Il n'aurait rien de remarquable si les jardins intérieurs ne lui donnaient un caractère oriental fort joli. » Il sera relayé par le peintre Vernet, qui déclarera à son tour, après sa visite de 1837 « Figurez-vous une délicieuse décoration d'opéra, tout de marbre blanc et de peintures de couleurs les plus vives, d'un goût charmant, des eaux coulant de fontaines ombragées d'orangers, de myrtes... enfin un rêve des Mille et Une Nuits. » Hadj Ahmed, qui a vu le jour en 1784, devra quitter son palais au lendemain de la prise de la ville et organisera une résistance dans les Aurès pour mener plusieurs batailles aux environs de Constantine, jusqu'à sa capture en 1848. Il mourra en captivité deux années plus tard. Restauration ottomano-française Malheureusement, les aléas du temps, conjugués au laisser-aller de l'homme ont fini par affecter très sérieusement toutes les parties du palais, de la boiserie à la peinture, en passant par la céramique. La dégradation a commencé dès la prise en main de l'ex-demeure du dernier bey de Constantine par l'armée française, fraîchement débarquée à Constantine, en 1837, et a continué après l'indépendance, où l'édifice sera confié à l'APC, qui en prendra la charge comme elle l'aurait fait pour un placard à balais. Finalement, la décision de sa restauration sera prise en 1981 et la première partie, l'expertise, sera confiée à un bureau polonais. Cela durera jusqu'en 1986, année où les recommandations seront remises aux autorités et conseillaient « une consolidation d'urgence » avec étude et suivi. Pour des raisons qui demeurent obscures, l'Etat suspendra les travaux de consolidation pour entamer l'étape de la restauration « sans étude », selon les experts de l'époque. La décennie noire devait mettre les travaux à l'arrêt de 1991 jusqu'à 1998, période pendant laquelle le palais subira des dégradations irréversibles, allant du simple vol de portes ou de lustres et de céramique de l'époque des beys ou celle française, à la détérioration pure et simple, occasionnée par la méchanceté et l'ignorance de l'homme. Les travaux reprendront en 1998 et seront confiés à plusieurs « artisans » à la fois, où tout le monde était responsable et ne l'était pas en même temps, avec un bannissement total du lexique de la part des responsables de l'époque du mot coordination. Le ministère de la Culture a pris les choses en main en 2002 et confié le projet à l'Agence nationale d'architecture pour « un marché d'achèvement », une appellation qui signifie tout simplement qu'il était plus qu'urgent que la restauration aboutisse après plus de vingt ans de galère ! L'architecte Abdelaziz Badjadja, conseiller auprès du ministère de la Culture, sera « le joker » de ce même ministère pour continuer la restauration et conclure au plus vite. Laser et polychromie Avec son « équipe », uniquement une autre jeune architecte, Asma Bouabellou, en l'occurrence, il s'attellera à effacer les traces perverses du temps et à corriger ce qui pouvait l'être après une première rénovation, plutôt qu'une restauration. Badjadja nous dira avoir pris « le palais sans aucune passation de consignes ». Il ajoutera : « Il a fallu plus de trois mois pour que je sache où me placer et faire une reconnaissance approfondie du palais. On a tout réorganisé, avant que l'entreprise qui avait la charge de tous les travaux ne parte. Là, on a pu faire appel à des petits artisans, chacun expert dans son domaine. » Mais en l'absence d'une étude sérieuse de réhabilitation, il a été demandé à Badjadja « de restaurer le palais en effaçant les stigmates des Français pour retrouver l'édifice tel qu'il était au temps du Bey Ahmed ». Ce qui est « complètement aberrant », rajoutera notre interlocuteur, « car les Français ont fait disparaître des pans entiers du palais, architecturaux et historiques, qu'il était impossible de retrouver. On a finalement abouti à la restauration qui nous permettrait de retrouver un palais aussi bien avec ses particularités ottomanes que françaises. La restauration s'effectue, depuis, avec 14 petites entreprises de façon à ce qu'on touche directement l'artisan. Il n'en reste aujourd'hui que trois pour l'achèvement et le nettoyage ». La bonne nouvelle est que la restauration du palais s'achèvera au cours de l'année, car il ne reste plus que la restauration de la polychromie à l'aide d'un laser qui analysera les couches successives de peinture, celles des 257 colonnes de marbre et finir avec des travaux extra-muros en aménageant la place du palais en piétonnière. Il reste que pour la restauration, « on a fait tout notre possible pour restituer le palais tel qu'il a été narré, par exemple, par Féraud, un capitaine de l'armée française, qui a décrit plusieurs monuments de l'époque, en 1867, selon des témoignages datant d'une trentaine d'années auparavant, avec une restauration de l'espace et de l'image », soulignera notre interlocuteur. Et d'ajouter : « Le savoir-faire nous a beaucoup fait défaut de même que les vrais utilisateurs de la chaux, l'absence de la brique pleine, etc. Nous avons aussi utilisé de la céramique historique puis on a comblé avec de la céramique historique copiée et nous n'avons, à aucun moment, utilisé de la faïence, je tiens à le préciser. Au contraire, la céramique a été peinte à la main pièce par pièce. » C'est vrai que lors de son abandon par les pouvoirs publics au début des années 1990, des lustres, des portes, de la faïence et de la vitrerie ont été dérobés aussi bien par ceux qui étaient censés veiller sur cette mémoire collective que par ceux qui prenaient une colonne ou une porte pour consolider un mur défaillant dans les demeures de la vieille ville, ou tout simplement pour le fun. Il reste que malgré le manque de moyens, comme l'absence de compteurs d'électricité, puisque l'édifice n'appartient à aucune personne physique ou morale, l'année 2008 sera celle de la restitution du palais du Bey à ses vrais propriétaires : les Constantinois. Le palais sera sous la coupe de la nouvelle création du ministère de la Culture, l'Office de gestion et d'exploitation des biens culturels (Ogebc) qui se chargera de gérer, au mieux, tout un pan de l'histoire du Vieux Rocher, lequel a failli disparaître à cause de la déliquescence des pouvoirs publics.