Comédienne de cinéma et de théâtre, metteur en scène de pièces, scénariste, documentariste, poétesse… ! Vous étiez dans le jury du récent Panorama du cinéma algérien. C'est la première fois ? Non, quand j'avais 25 ans, on m'a proposé de faire partie du jury du Festival international du théâtre universitaire de Casablanca de 1995. C'était ma première expérience et je me suis retrouvée avec mon professeur qui n'a pas apprécié (rires). En tout cas, à Alger, j'ai beaucoup aimé le travail au sein du jury long-métrage qui s'est déroulé avec sérieux et bonne humeur. C'était aussi une façon de découvrir le cinéma algérien actuel et de rencontrer ceux qui le font. Que retenez-vous de ce séjour ? J'aimerais dire que je l'ai d'abord vécu à travers mon rapport à l'Algérie qui a toujours été là mais que je n'avais jamais eu l'occasion de réaliser. J'ai pu ainsi me rendre à Sidi Bel Abbès, au Musée de la ville, voir mon oncle maternel, Touhami El Menouer, martyr de la guerre de libération. Il y avait sa photo et une lettre écrite du maquis à ses parents. Je suis allée au village d'où mon père est originaire. Deux jours très forts où j'ai aussi visité le cimetière où reposent mes grands-parents, ma tante… C'est énorme pour moi. Ici à Alger, c'était chaleureux. Je me suis sentie très bien et le Panorama m'a vraiment intéressée. Quel est votre sentiment sur la filmographie présentée ? Pour moi, il y a un renouveau, une volonté de commencer ou de recommencer quelque chose. Cela se sent et se voit de manière très forte. Au début, c'était dommage, il n'y avait pas beaucoup de public. Heureusement, ça s'est arrangé après car c'est sa présence qui rend la projection vivante. Ses réactions sont un élément d'appréciation important car il réagit à son image, par rapport à sa culture et son vécu. Et il est clair que le public algérien porte une soif de sa propre image et un réel besoin d'ouverture sur les autres. Et par rapport aux thématiques et genres proposés ? La première chose que j'ai retenue, c'est la bonne volonté. Ces films ne sont pas faits par des imposteurs ou des gens qui sont là par hasard ou par intérêt. On sent bien leur désir de faire du cinéma, d'exprimer quelque chose. Maintenant, comment ils le font, c'est une autre question. Il y a des failles, mais ce n'est pas si grave, surtout après ce qu'a vécu le cinéma algérien. Si on arrive à garder l'élan, le désir intact de faire du cinéma, le reste peut venir avec l'expérience, la volonté et la curiosité. Une des faiblesses majeures est peut-être la trop grande place des dialogues. Au cinéma, on peut parler bien sûr, mais on peut dire les choses autrement, par l'image, les situations, les gestes et expressions… La parole directe n'est qu'un élément du langage cinématographique et pas toujours le plus important. Sur le plan technique et artistique, quelles sont vos observations ? Il y a à l'évidence des problèmes d'écriture de scénarios dans plusieurs films. Il semble que l'on privilégie le fait de raconter une histoire sur la manière de la raconter. Or, au cinéma, c'est le contraire qui prévaut. On peut avoir une très belle histoire présentée de façon inopérante comme une histoire ordinaire mais éclatante sur l'écran. Le cinéma, c'est d'abord et avant tout la manière. Il me semble que c'est un aspect des choses qui n'est pas encore bien maîtrisé. Et qu'avez-vous retenu comme qualités ? Il y en a de toutes sortes et on en retrouve dans la majorité des films proposés. Mais ceux qui m'ont semblé en présenter le plus, sont La Maison jaune d'Ammor Hakkar et Ayrouwen de Brahim Tsaki (Ndlr : respectivement Prix du meilleur film et Prix du meilleur scénario à l'issue du Panorama, ndlr). Je leur ai trouvé énormément d'intelligence cinématographique, de sensibilité, de poésie. Et aussi beaucoup de dignité dans l'interprétation. D'ailleurs, cette dignité se retrouve dans tous les films. Il y a de belles présences, de beaux visages d'acteurs, des expressions rares, magnifiques souvent. Ces dernières années, le cinéma marocain a franchi de grandes étapes… Oui, il y a du mouvement, une activité certaine. En quelques années, l'effectif des professionnels, tous corps confondus, s'est considérablement multiplié. Idem pour les sociétés de production. Des portes ont été ouvertes avec une volonté marquée et des résultats : une centaine de courts-métrages de fiction par an et plusieurs longs. Maintenant, pour la qualité, c'est à revoir. On a tablé je pense sur la quantité d'abord. Mais maintenant, la marge se resserre. Pendant deux ou trois ans, tout le monde pouvait être réalisateur et ouvrir sa maison de production. Il suffisait de tourner 3 courts-métrages pour avoir l'agrément. Mais un court-métrage, vous le savez, cela peut être un générique de cinq minutes, quelques plans et voilà… Mais il était sans doute nécessaire de passer par là. Les nouvelles dispositions sont-elles entrées en vigueur ? Oui, depuis mars, je pense. Maintenant, un court métrage doit être au moins de 15 minutes, tourné en 35 mm et passer par une commission qui juge de sa qualité technique et artistique. Pour les longs métrages, les subventions ont été augmentées. Les studios d'Ouarzazate permettent à de grandes productions de travailler au Maroc. On a vu ainsi Scorcèse, Ridley Scott ou, récemment, Brad Pitt, venir tourner au Maroc. Il y a aussi les labos et le kinescopage qui est maintenant opérationnel. Les films marocains sont très présents dans les festivals et certains décrochent des prix. Au Maroc aussi, il y a de nombreux festivals : depuis celui de Marrakech, bien connu, jusqu'aux petits festivals de villes… Cela permet une visibilité. Au début, vous vous destiniez au théâtre… Oui, j'ai fait des études de lettres. J'ai commencé à suivre des cours de théâtre comme un loisir, pour m'exprimer, me découvrir. Puis c'est devenu une vraie passion. J'ai repris mes études de nouveau en entrant à l'Institut d'art dramatique. Je travaillais de 7 h du matin à minuit tous les jours. Et, à chaque fois que je me produisais, c'était remarqué et ça renforçait encore ma passion. J'étais comme aspirée. En troisième année, le départ du directeur a complètement désorganisé l'insititut. Chacun faisait ce qu'il voulait. J'en ai profité pour monter Bel indifférent de Jean Cocteau, et finalement elle a eu du succès. Je n'avais aucune expérience, c'était assez téméraire de ma part. Mais comme on avait tout le temps, on a travaillé de manière approfondie. On a fait une tournée au Maroc, puis en Roumanie où j'ai eu le 1er prix d'interprétation. En rentrant, la presse a relaté le fait. C'est comme ça : quand quelqu'un arrive à se faire reconnaitre à l'extérieur, l'engouement suit au pays ! Après, il a fallu savoir si j'étais vraiment metteur en scène. Et comment s'est fait le passage au cinéma ? En 1996, des amis acteurs m'ont mis en contact avec Omar Chraïbi qui tournait Fabula. J'ai donc accepté, vraiment par curiosité. Et puis ce n'était qu'une journée de tournage. J'adorais tellement le théâtre que je pensais qu'en comparaison, le cinéma était léger. Le théâtre est fort, pur, avec ce contact direct avec le public. Il demande énormément d'énergie. Au cinéma, tu attends ton tour, tu es souvent seul devant la caméra, tu recommences. C'était donc une journée sympathique et je suis rentrée chez moi. Après, il y a eu des articles encourageants. Puis, Saâd Chraïbi, frère d'Omar, m'a proposé un petit rôle dans Femmes et femmes, en fait une apparition, en secrétaire qui dit deux répliques. J'ai refusé puis il m'a rappelé car une comédienne qui avait un rôle principal avait abandonné. Là, j'ai accepté. Quand le film est sorti, il a eu un succès phénoménal au Maroc. Il était en haut du box office, alors qu'il était sorti en même temps que Titanic … De quoi le couler, quoi ! On avait très peur, mais il y a eu des files immenses pour notre film. On vendait les tickets au noir. Un phénomène, car c'était la première fois qu'on montrait des femmes modernes qui parlaient ouvertement de leurs problèmes. Mon personnage a été très apprécié et j'ai été adoptée par le public. J'ai reçu un Prix au Festival national du film puis un autre à Bahreïn. En 2000, j'ai joué dans « Tresses « de Jilali Ferhati, pour lequel j'ai eu un prix à Carthage et une mention spéciale à Casablanca. Ferhati fait des films d'auteur, et ce film passe encore en France. Après, en 2005, il y a eu Juanita de Tanger de Farida Benlyazid, tiré du roman Chienne de vie d'Angel Basquez. Je joue une vieille tangéroise parlant espagnol. Tout ce que je ne suis pas dans la vie. Je jouais aux côtés de Maruena Fuentes, actrice d'Almodovar, et Lou Doillon. Une belle expérience artistique et humaine. Mais le théâtre, c'est fini ? Le cinéma ne demande pas une présence permanente. Tu joues ton rôle et tu pars. Au théâtre, l'engagement est bien plus fort et permanent. Tu vis avec le public, avec la troupe. Mais j'ai énormément investi dans le cinéma. J'ai suivi des formations, écrit et réalisé. Je suis engagée et je ne peux pas m'arrêter comme ça. Après, je verrai comment concilier les deux. L'essentiel est de faire ce que l'on ressent vraiment. Repères : Diplômée de lettres françaises à l'université Mohamed V de Rabat (1989), elle a étudié ensuite à l'Institut supérieur d'art dramatique et d'animation culturelle de Rabat (major de la promotion 1994). Elle a effectué plusieurs formations en montage, écriture de scénarios et réalisation, notamment en master class avec Abbas Kiarostami et Martin Scorcese (Marrakech, New York). Comédienne de théâtre, elle a joué les premiers rôles dans plusieurs classiques (Othello, Arlequin…) ou des pièces modernes et contemporaines, jouant aussi en Hollande et en Espagne. Elle a mis en scène 6 pièces et en a écrit une, Le Nègre et la femme du négrier publiée en épisodes dans le journal Libération, ainsi qu'un scénario de film, Le Grand Haydous, sélectionné au Festival de Namur dans le programme « De l'écrit à l'écran ». En tant qu'actrice de cinéma, elle jouit d'une grande notoriété avec 4 films dont le fameux Juanita de Tanger de Farida Benlyazid. Elle a joué également à la TV, notamment dans le sitcom Lakhwatate. De 1995 à 2005, elle a obtenu huit prix d'interprétation féminine dont deux pour le théâtre. Elle a réalisé trois documentaires : Haloo, Lamba et Talehcent, tourné en 35 mm. Egalement poétesse, elle pratique quatre langues : l'arabe, le français, l'anglais et l'italien.