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L'entreprise privée conforte son ancrage dans la société algérienne(*)
Publié dans El Watan le 13 - 05 - 2008

Dans cet exposé volontairement construit pour susciter le débat, nous parlerons des opportunités d'affaires et d'emplois que pourraient saisir les diplômés des grandes écoles et universités françaises dans leur pays d'origine.
L'Algérie, où beaucoup reste à faire, mais où un grand pas a déjà été fait en matière de création d'entreprises en majeure partie par des Algériens, mais aussi par des étrangers de plus en plus nombreux à s'y installer. Le chef de la mission économique de l'ambassade de France en Algérie vient de citer le chiffre de 250 implantations d'entreprises françaises dans notre pays, en insistant sur l'engouement de nombreuses autres sociétés prêtes à y investir, pour peu que le climat des affaires s'améliore. Plus de 380 000 petites et moyennes entreprises activent déjà dans notre pays et il se créerait, selon les estimations du ministère concerné, un peu plus de 30 000 pme chaque année. Les femmes sont de plus en plus nombreuses à s'impliquer dans le processus de création d'entreprises. L'association patronale SEVE avait avancé le nombre de 5000 cheftaines d'entreprises recensées en 2006, tandis que les services du registre du commerce avaient rendu public, dans le courant du mois de février dernier, le chiffre étonnant de 100 000 registres du commerce octroyés à des femmes. Si ces statistiques de création d'entreprises peuvent paraître dérisoires au regard des Français habitués à une démographie d'entreprises autrement plus prolifique, la courte histoire de l'entreprise privée algérienne dans une tout aussi courte histoire de l'économie de marché algérienne autoris à appréhender ces chiffres avec un certain optimisme. Vues sous cet angle, les statistiques de création de sociétés privées sont plutôt encourageantes, car il ne faut jamais perdre de vue que l'entreprise privée algérienne est jeune, nous dirons même très jeune, son droit à l'existence en tant qu'entité légale ne remonte en réalité qu'au milieu des années 1980, avec l'octroi à quelques-unes des sociétés encore en activité de lignes de crédit et d'autorisations globales à l'importation, gérées dans l'opacité par la Chambre de commerce et d'industrie algérienne. La courte histoire de l'entreprise privée algérienne nous permet en effet d'apprendre que celle-ci n'a jamais fait bon ménage avec les pouvoirs politiques en place. On se souvient qu'au lendemain de l'indépendance, le premier président algérien Ahmed Ben Bella menaçait publiquement d'envoyer au bain maure (hammam) les entrepreneurs algériens, qualifiés de « bourgeois » et que c'est de son temps que de grands industriels, comme Hamoud Boualem, Tamzali, Bentchicou, Hamiani, Mehri, pour ne citer que les plus connus, avaient été contraints à l'exil. - Sous le régime de Boumédiène, l'exclusion du « privé exploiteur » est érigée en dogme avec à la clé la promulgation de la charte nationale qui restera durant une décennie la référence doctrinale du régime socialiste algérien. - C'est sous Chadli Bendjedid que s'effectueront, non sans difficultés, les premières grandes ouvertures, mais il a fallu une période probatoire d'environ 10 années pour effectuer les premières lézardes à la sacro-sainte charte nationale, avec la promulgation en 1989 d'une Constitution favorisant certaines libertés, notamment, celle d'entreprendre et de s'associer.
Les événements d'octobre 88, dont on soupçonne, aujourd'hui encore, le pouvoir de l'époque de les avoir provoqués pour justifier la nécessité des réformes économiques et sociales, auxquelles certains cercles du pouvoir étaient réticents ou carrément opposés, serviront de catalyseur au processus de réformes.
Des réformes majeures vont être mises en œuvre avec une grande celérité par le gouvernement de Kasdi Merbah mais, aussi et surtout, celui de Mouloud Hamrouche en grande partie pour faciliter l'ancrage de l'entreprise privée, longtemps marginalisée, dans la société algérienne. Une batterie de textes législatifs et réglementaires, adossés à la nouvelle Constitution, vont ouvrir de nouveaux horizons, aussi biens à l'entreprise qui s'autonomise du champ politique, qu'a la société algérienne en général qui peut désormais adhérer à un parti politique autre que le FLN, se syndiquer à d'autres syndicat que l'UGTA, lire d'autres journaux qu'El-Moudjahid, créer des associations autonomes, etc.
La société algérienne avait commencé à se libéraliser aussi bien sur le plan politique (pluralisme politique et syndical) qu'économique. Les sociétés nationales s'autonomisent des tutelles ministérielles en acquérant un statut de droit privé, la création de sociétés privées algériennes et étrangères est officiellement encouragée par la loi sur la monnaie et le crédit ainsi que par les nouveaux codes de commerce et de l'investissement.
Le monopole sur le commerce extérieur exercé par les sociétés nationales est aboli et les entreprises de droit privé autorisées à importer.
Les prix sont, à l'exception de quelques produits, libérés.
Les banques publiques acquièrent le statut de sociétés par actions de droit privé soumises à la concurrence interbancaire au même titre que les banques privées algériennes et étrangères autorisées à activer en Algérie.
Les réformes engagées au pas de charge, juste après les événements d'octobre 1988, seront malheureusement ralenties et souvent même détournées de leur objectif initial pour plusieurs raisons :
le climat d'insécurité engendré par l'annulation du processus électoral qui avait failli amener le front islamique du salut, aujourd'hui dissous, aux commandes du pays ;
il faut ajouter à cela l'injuste isolement de l'Algérie sur la scène internationale, alors qu'elle n'avait, en réalité, fait que jouer un rôle de rempart contre le terrorisme intégriste, que les événements du 11 septembre 2001 allaient mettre brutalement en évidence.
L'autre raison, étroitement liée au climat d'insécurité, est l'instabilité gouvernementale qui s'est installée en Algérie de 1988 à ce jour. Durant ces dernières 20 années, l'Algérie a connu 5 chefs d'Etat, 12 chefs de gouvernement et une valse de ministres en charge de l'économie. Chacun de ces gouvernants a souhaité impulser une nouvelle dynamique aux reformes, mais en modifiant chaque fois les montages institutionnels en place, ce qui engendre souvent d'inutiles pertes de temps. On peut citer pour exemple les institutions chargées de la gestion du secteur public économique qui furent successivement des fonds de participation, des holdings publics, des megaholdings et aujourd'hui des sociétés de gestion de participation en attendant les prochains changements annoncés à la faveur d'une nouvelle stratégie industrielle impliquant de nouveaux redéploiements des entreprises publiques économiques.
Le calendrier de mise en œuvre des ajustements structurels est géré au gré des manœuvres politiques, notamment à l'approche de grandes échéances électorales. La transition à l'économie de marché traîne de ce fait en longueur et c'est, sans doute, ce qui explique que 20 ans après le lancement des réformes, l'Algérie ne dispose toujours pas des instruments les plus basiques de l'économie de marché que sont, à titre d'exemple, le marché des changes à terme, la bourse des valeurs mobilières, le marché foncier, le marché immobilier, pour ne citer que ceux-là.
La nature ayant horreur du vide, ces marchés du reste très utiles aux opérateurs économiques et aux citoyens en général, activent comme chacun le sait, dans l'informel.
Les chefs de gouvernement durent si peu a leur poste, qu'ils n'ont, dans le meilleur des cas, que le temps de remettre en cause les actions engagées par leurs prédécesseurs, mais rarement le temps de mettre en œuvre leurs propres réformes. En résultent un réel désordre dans la conduite des changements, un manque de visibilité et, bien entendu, une crainte tout à fait compréhensible d'une remise en cause du processus de réforme, par les prochaines équipes gouvernementales.
Il y a, sans doute aussi, les ralentissements et les remises en cause engendrées, aussi paradoxal que cela puisse paraître, par les embellies financières dues à l'augmentation des recettes des hydrocarbures, à l'occasion desquelles, resurgissent les tentations de populisme et de reniement d'engagements. On dit souvent que « dès que les prix du pétrole augmentent, l'Algérie s'arrête de réfléchir ».
Mais toujours est il que les réformes, notamment celles engagées à la faveur des événements d'octobre 88 ont introduit des changements majeurs dans le pays, changements parmi lesquels le bouleversement du champ des élites n'est pas des moindres. Il faut, en effet, bien savoir qu'avant ces réformes qui ont ouvert les champs politique, économique et social, l'Algérie vivait sous le régime du parti unique et des organisations de masses satellisées, des entreprises étatiques et du syndicat. Tout aussi unique, l'UGTA en l'occurrence.
L'ouverture de 1988 a, à l'évidence, élargi le champ des élites et on peut prendre pour exemple les élites politiques autrefois réduites aux seuls cadres du parti du FLN, et qu'on retrouve aujourd'hui à la tête d'une profusion de nouveaux partis politiques qui se battent, il est vrai, dans des conditions particulièrement difficiles pour avoir leur place sur l'échiquier politique national. La même observation peut être faite à propos des élites syndicales autrefois réduites aux seuls cadres du syndicat unique. Aujourd'hui, des élites, souvent de qualité, encadrent plus d'une vingtaine de syndicats autonomes dont les actions menées prouvent, pour certains, une capacité de mobilisation nettement supérieure à celle de la centrale UGTA. Les appels à la grève générale lancés par les syndicats autonomes des enseignants et des travailleurs de la Fonction publique, ont apporté la preuve de la grande capacité de mobilisation de ces syndicats, en dépit de toutes les difficultés que leur crée le pouvoir en place qui s'entête à les ignorer. - On peut également évoquer les élites journalistiques qui, avant l'ouverture du champ médiatique en 1989, se réduisaient à une dizaine de directeurs de journaux étatiques et partisans qui paraissaient à l'époque. Il existe aujourd'hui plus de 60 titres de presse publics et privés, encadrés par de nouvelles élites journalistiques. Je ne vais pas citer ces nouvelles élites journalistiques que, du reste, vous connaissez, de crainte d'en oublier certains. - On peut aussi parler des élites de la société civile, autrefois réduite aux seuls cadres des organisations de masses satellisées au parti unique (UNFA, UNPA, Union des économistes et sociologues, Unions des médecins, des écrivains, etc. Les associations autonomes, conduites par de nouvelles élites, prolifèrent aujourd'hui, avec un rôle de plus en plus dynamique joué, notamment, par des élites féminines.
Mais la percée des nouvelles élites est surtout perceptible au niveau de l'économie. La constitution d'entreprises privées a permis l'émergence de nouvelles élites managériales, pour certaines à la tête de sociétés de grande envergure, que j'évite, là aussi de citer, de crainte d' en oublier certaines. Il faudrait, cependant, se souvenir qu'avant l'ouverture de 1988, les élites économiques se réduisaint à quelques DG ou PDG d'entreprises étatiques (les sociétés nationales). - Bien que nouvelles, ces élites sont en train de modifier le paysage économique algérien, qui porte encore les stigmates du système socialiste, aidées en cela par les nouvelles techniques de management et les apports multiformes des partenariats qu'elles ont contractés avec les entreprises internationales. L'apport des associations patronales auxquelles elles sont de plus en plus nombreuses à adhérer (FCE, syndicats et confédérations) est également à souligner, en ce sens qu'elles leur permettent de mieux formuler les propositions et doléances présentées aux autorités politiques.
Au regard de sa courte histoire, l'émergence du secteur privé au cours de ces 20 dernières années est pour ainsi dire prodigieuse. Les sociétés privées qui se comptaient sur les doigts durant les années 70, dépasseront cette année 400 000. Entreprises de divers statuts juridiques (URL, sarl, SPA). Parmi elles figurent des groupes privés d'envergure internationale, certaines étant classées parmi les toutes premières du continent africain. Leur contribution à la richesse nationale est très importante (85% du PIB hors hydrocarbures en 2007). Elles sont en train de percer dans tous les secteurs d'activité (bâtiment, agroalimentaire, informatique, pratiquement toute la gamme des services, etc.). Le plus gros des importations algériennes (exception faite des céréales) est effectuée par les quelque 22.000 sociétés privées de négoce en activité recencées à la fin 2007. De nouveaux métiers que le régime socialiste avait fait disparaître renaissent de leurs cendres. On citera les métiers de notaire , commissaire aux comptes, commissaire priseur, huissier qui suscitent l'engouement des universitaires formés à ces métiers et qui pourraient intéresser, pourquoi pas, certains de nos diplômés expatriés.
Ce sont, on le comprend bien, ces élites qui effectueront progressivement les ruptures systémiques qui permettront l'emergence de la société moderne et démocratique à laquelle l'écrasante majorité des Algériens aspire. Notre affirmation repose sur le fait qu'il n'existe pas de cloisonnement entre l'économique et le politique, les deux étant parfaitement imbriqués et que le pouvoir de l'argent conduit généralement au pouvoir politique. C'est du moins ce que l'on observe dans pratiquement tous les pays du monde, pourquoi pas un jour le nôtre, quand bien même des forces rameraient encore un temps dans le sens contraire de l'histoire.
La partie nous semble largement engagée sur le terrain, même si le système politique en place veille, il est vrai, au maintient d'un statu quo le plus long possible, en entravant, notamment, l'action des organisations autonomes et en traînant le pas dans la mise en œuvre des reformes stratégiques, comme la réforme bancaire, celles de la justice et du système éducatif, par exemple.
Mais ce n'est, nous en sommes convaincus, qu'une affaire de temps, les accords internationaux signés par l'Etat algérien (Union européenne, OMC, FMI, etc.) contraignant les autorités algériennes à effectuer des réformes déterminantes porteuses de profonds changements.
(*) Conférence de Nordine Grim donnée le 15 mars 2008 à l'Ecole supérieure de commerce de Paris à l'occasion du 2e forum reage


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