En Ukraine, se rend-on compte, il faut parler de crises multiples et non seulement de celle que la Cour suprême a pris sur elle de résoudre. Cette institution, rappelle-t-on, avait invalidé les résultats du deuxième tour de l'élection présidentielle et décidé d'un autre tour qui aura lieu en fin de compte le 26 décembre prochain. Autrement dit, les compteurs ne sont pas remis à zéro, ainsi que l'a souhaité le président ukrainien Léonid Koutchma, mais uniquement un mi-chemin d'un processus électoral dont on se rend compte qu'il a été marqué par des fraudes massives et souvent grossières. Mais depuis peu, et au-delà de ce qui est acquis, il faut envisager l'avenir politique du pays, c'est-à-dire le prémunir contre des crises que les textes fondamentaux n'envisagent pas. Pour preuve, il a fallu pour cela, mais en vain, recourir à la médiation internationale. Ultime recours, le Parlement de ce pays devait étudier hier la composition d'une nouvelle commission électorale centrale, une manière bien commode de récuser un échec bien réel. Les trois protagonistes de la crise, le président sortant Léonid Koutchma, le chef de l'opposition Viktor Iouchtchenko et le Premier ministre Viktor Ianoukovitch, réunis pendant plus de six heures autour de médiateurs européens et russe, ne sont parvenus dans la nuit à un accord que sur la dissolution de la Commission électorale centrale. « Quand les parties ne trouvent pas de consensus, elles font une déclaration à la presse. C'est moi qui en suis chargé », a déclaré un président Koutchma particulièrement sombre, notamment entouré des présidents lituanien Valdas Adamkus et polonais Aleksander Kwasniewski, du haut représentant pour la politique étrangère Javier Solana, et du président de la Douma russe (Chambre basse du Parlement), Boris Gryzlov. M. Koutchma doit proposer au Parlement de nouvelles candidatures pour la Commission électorale centrale et, sans s'engager, s'est entendu avec l'opposition sur la seule « nécessité d'apporter des modifications à la loi électorale » pour la tenue « d'une élection transparente et honnête (lors du scrutin du 26 décembre) et de rendre impossibles les abus et les falsifications ». Le président ukrainien a échoué à convaincre M. Iouchtchenko, grand favori du scrutin du 26 décembre, de voter son projet de réforme constitutionnelle, qu'il prône depuis plus d'un an et qui prévoit de restreindre les pouvoirs du président au bénéfice du Parlement. M. Koutchma a, de son côté, refusé de démettre le gouvernement de Viktor Ianoukovitch, une revendication à laquelle l'opposition semblait moins tenir ces derniers jours à mesure que le pouvoir donnait des signes qu'il ne croyait plus à la victoire de son candidat au scrutin du 26 décembre. Le président du Parlement ukrainien Volodymyr Litvine avait pourtant assuré plus tôt, lundi, qu'un terrain d'entente avait été trouvé et que le Parlement voterait lors de sa séance d'hier, d'une part les amendements à la loi électorale et, d'autre part, la réforme constitutionnelle. Parallèlement, M. Koutchma nommerait un nouveau Premier ministre par intérim et dissoudrait la commission électorale centrale, affirmait-il. Le président Koutchma s'était dit prêt au compromis si la réforme de la Constitution entrait en vigueur immédiatement. Plus que cela, M. Koutchma semble pour sa part avoir déjà fait une croix sur une victoire du candidat du pouvoir, vainqueur déchu du scrutin du 21 novembre. Et les signes montrant qu'il l'a de fait lâché sont nombreux. Le Premier ministre n'a assisté à pratiquement aucune des dernières réunions ministérielles présidées par M. Koutchma. Et le Président a déclaré dans une interview publiée lundi par le New York Times qu'à la place du Premier ministre, il ne se représenterait pas au scrutin du 26 décembre. C'est ce jour-là que le Président russe a quelque peu revu sa position, en déclarant publiquement que son pays travaillera avec le futur président ukrainien quel qu'il soit. Qu'on est loin des félicitations qu'il avait adressées à Viktor Ianoukovitch. Mais l'on reste néanmoins bien loin du compromis qui permettrait de surmonter la crise actuelle.