Soudain, il était là. Devant moi, à me regarder sans me voir. Sa silhouette efflanquée à l'arrêt, son odeur fauve puissante. Je pouvais presque le toucher, plonger ma main dans son pelage moucheté. Le vent sifflant dans la zribat, la caresse rugueuse du sable sur ma peau ou la lune à son dernier quartier y sont peut-être pour quelque chose. Cette nuit-là je rêvais du guépard de l'Ahaggar. Lui que tous rêvent de croiser et que seuls les Touareg rompus aux longues marches dans les lits d'oueds à acacia ont le privilège d'apercevoir depuis que la nuit est nuit. La veille, à Mertoutek, un village à 230 km au nord-est de Tamanrasset, dans la région de la Tefedest, Chounka Khanoufa, agent de conservation au parc national de l'Ahaggar, chèche jaune et djellaba verte, m'avait raconté. La bête prête à attaquer le chamelon. Une femelle, sans doute. Et puis, le berger est arrivé. Amayas (le « peureux »), comme on l'appelle ici, s'est enfui. En réalité, le guépard saharien n'est pas endémique à l'Ahaggar. « En Algérie, on le sait aussi présent dans le Tassili n'Ajjer et dans l'Immidir, explique Farid Belbachir, enseignant à l'université de Béjaïa, actuellement chercheur à la Société zoologique de Londres (Royaume-Uni) dans le cadre de la préparation d'un doctorat sur les aspects de l'écologie des grands félins et les interactions avec les communautés humaines dans le Sahara algérien. « Sa présence est encore possible dans l'ouest de l'Atlas saharien (où certains habitants de la région d'El Bayadh et de ses environs l'auraient peut-être aperçu), les ergs et la région de Tindouf, mais aucune preuve physique ou indices de présence ne sont actuellement disponibles pour l'affirmer avec certitude. » Dans la contrée sahélo-saharienne, l'espèce est également présente avec certitude dans le massif du Termit au Niger, et vraisemblablement dans l'Aïr-Ténéré (Niger), dans l'Adrar des Iforas (Mali) et dans le massif de l'Ennedi (Tchad). Considéré comme l'un des mammifères les plus menacés d'Afrique du Nord, le guépard figure sur l'annexe I de la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d'extinction (Cites), à laquelle l'Algérie a adhéré en 1982. Cette annexe correspond au plus haut degré de menace et interdit donc tout commerce de l'espèce. Par ailleurs, l'Algérie a récemment mis le guépard sous la protection de la loi sur la chasse de 2004 confortée par l'ordonnance de juillet 2006. L'Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources (UICN) a enfin classé l'espèce comme « vulnérable » et la sous-espèce présente en Algérie, Acinonyx jubatus hecki, « en danger d'extinction » (voir encadré). Car on sait finalement peu de choses sur lui. Quelques indications sur son biotope – il fréquenterait les grandes vallées et les montagnes où se replier en cas de menace – et sur son comportement – s'il s'approche quelquefois de certains campements, il ne rentrerait pas dans les villages. Traque punitive Le reste est encore flou. A commencer par la sous-espèce elle-même, dont l'existence n'a pas encore été étayée par analyse génétique. « Sur la base des observations faites par le photographe animalier Alain Dragesco-Joffé dans le Sahara central du Niger, le guépard nord-africain apparaît plus petit (1,70 m de longueur) et moins lourd (40 à 45 kg) que ceux de l'est et du sud de l'Afrique », précise Farid Belbachir. Son pelage serait aussi plus pâle, avec des taches non pas noires mais ocres, et les anneaux de sa queue seraient moins marqués voire inexistants. Comme il a été rappelé en 2006, lors de la deuxième réunion de l'Observatoire du guépard en régions d'Afrique du Nord (Ogran), il faudrait clarifier en priorité l'identité génétique de la sous-espèce nord-africaine par rapport à celles de l'Iran et de l'est et du sud de l'Afrique. Impossible aussi d'avancer un chiffre sur la population réelle de guépards dans le Sahara. En 1993, Alain Dragesco-Joffé l'a estimée de 300 à 500 individus répartis au Niger, au Tchad et au Mali. En 1989, Koen de Smet, docteur en agronomie, l'a quant à lui évaluée à plusieurs douzaines dans les massifs centro-sahariens. En 2000, un inventaire d'une durée de dix jours dans l'Ahaggar a conclu à au moins 20-30, voire 30-40 individus. « Mais ces estimations ne sauraient refléter fidèlement l'abondance des populations, nuance Farid Belbachir, car elles ne sont le reflet que d'une estimation subjective et non le résultat fondé sur une méthodologie scientifique d'échantillonnage sur le terrain. » Quant à son comportement, rien n'est sûr. « Certains témoignages ne collent pas avec le comportement du guépard tel qu'il est décrit dans d'autres régions d'Afrique », remarque Djazia Ouchen, zoologue à l'Office du parc national de l'Ahaggar. Il se déplacerait en groupe de deux à trois mâles, mais dans le Sahara, certains témoignages le disent solitaire. Dans l'Ahaggar, et toujours d'après les témoignages, le guépard serait un chasseur crépusculaire et nocturne. « Mais on ne peut pas exclure que l'espèce puisse chasser également tôt le matin et l'après-midi quand il ne fait pas très chaud », avance Farid Belbachir. Pour toutes ces inconnues – et les menaces qui le mettent en péril : sécheresse, rareté des proies, dégradation de son milieu naturel – le guépard fait l'objet d'un programme spécial sur la biodiversité en Afrique du Nord et de sensibilisation des populations (voir interview). « Gérer la présence des félins à proximité des populations locales est primordial pour la survie du guépard », insiste le spécialiste. La perte d'un animal domestique entraîne des réactions violentes de la part des bergers touareg qui n'hésitent pas parfois à organiser des traques punitives à l'encontre des prédateurs coupables. « Notre action de sensibilisation, ajoute Farid Ighilahriz, directeur de l'Office du parc national de l'Ahaggar, s'accompagne d'ailleurs d'un projet de compensation financière pour les animaux perdus. »