Vous voulez du thon, madame ? Il est extra frais. » Vendredi au marché Meissonnier. En cette fin de matinée, un des poissonniers se frotte les mains. Une de ses prises a eu plus que tous les latchas et poulpes de ses voisins réunis. Sur son étal, il ne reste plus grand-chose d'un petit thon à la chair rouge vif que le pêcheur picore de temps en temps toute crue. La crise du thon en Méditerranée et la fermeture anticipée par l'Union européenne au 16 juin ? ça le fait sourire. « De toute manière, en Algérie, on n'a pas de bateau pour le pêcher. Mais de temps en temps, on en attrape des petits. » Le même jour, à quelques centaines de kilomètres, au large de Monastir, en Tunisie, l'hélicoptère de Greenpeace a mené une opération commando au ras d'une ferme d'élevage de thon rouge. Pourquoi, alors que les scientifiques s'accordent à dire que les stocks sauvages sont en train de s'épuiser, et que les politiques prennent des mesures pour restreindre les captures, les ONG ne veulent-elles pas entendre parler d'élevage comme solution alternative ? Explications. Le thon rouge est-il vraiment menacé ? Oui. Il figure même sur la liste des espèces menacées de l'UICN. Non seulement il y a moins d'individus mais comme l'espèce n'a pas le temps de se renouveler, les pièces pêchées sont de plus en plus petites : l'époque où la taille moyenne des thons capturés frôlait les 250 kg est révolue. D'après les témoignages de pêcheurs recueillis par Greenpeace, elle serait tombée en quelques années à 120 kg. Depuis 2006, les scientifiques alertent les autorités sur une extinction prochaine du thon rouge en l'absence de mesures drastiques. En réalité, le thon ne disparaîtrait pas complètement mais il n'y en aurait plus assez pour alimenter les activités de pêche. Le Japon est-il vraiment responsable de la crise ? En grande partie. Le thon rouge est exploité en Méditerranée depuis l'Antiquité mais la mode des sushis et des sashimis dans les années 1960 au Japon a considérablement fait augmenter la demande. Et la modernisation des techniques de pêche consécutive à cet engouement a aggravé la situation. La Turquie, la Tunisie, ou encore le Maroc ont développé leur flotte. Et comme le souligne Sergi Tudela, responsable pêche au WWF-Méditerranée, dans un rapport de l'association publié en mars dernier : « Tous ces nouveaux bateaux sont tellement modernes et coûtent si cher que les pêcheurs sont forcés de pratiquer une pêche illégale pour survivre. » Les investisseurs espagnols, italiens et maltais ont également créé au large de leurs côtes des fermes d'engraissage alimentées par des thons sauvages, capturés vivants et remorqués depuis leur zone de pêche. Résultat : le thon rouge de Méditerranée connaît la même surexploitation que celui des côtes australiennes, les premières à être pillées par les Japonais. Pourquoi Greenpeace veut-elle interdire les fermes d'élevage ? Le développement de ces fermes – il en existe près de 50 sur le pourtour méditerranéen – accentue la disparition des stocks sauvages avec la capture des thons souvent immatures. De plus, elles causent de gros dégâts à l'environnement, car les milliers de thons mis en cage tous les ans consomment plusieurs milliers de tonnes de poissons convertis en grande partie en excréments. Pour Greenpeace, ces déchets représenteraient l'équivalent d'une ville de plus de 10 000 habitants qui rejetterait directement ses égouts dans la mer. Est-ce que la fermeture anticipée de la pêche peut limiter les dégâts ? Non. Les associations de protection de l'environnement – Greenpeace et le WWF – réclament à la Commission internationale pour la conservation des thonidés en Atlantique (ICCAT) des mesures plus radicales. Une fermeture saisonnière de trois mois incluant obligatoirement le mois de juin, crucial pour la reproduction de l'espèce. Une taille de capture minimale de 30 kg sans dérogation, correspondant à la maturité sexuelle de l'espèce. Un plan à long terme de restauration du stock méditerranéen qui porte sur la réduction des quotas (le WWF demande à ce qu'il soit fixé à 15 000 t, soit un tiers des captures réelles), la protection des frayères et des nurseries. La mise en place d'un réseau d'observateurs indépendants chargés de surveiller la pêche. Le soutien des distributeurs, restaurants, chefs… qui boycottent le thon rouge de Méditerranée.