L'affaire El Haïcha ce quartier de la honte où des femmes, pour la plupart des mères de famille, ont été sauvagement agressées, mutilées, violées et certaines enterrées vivantes, un certain 13 juillet 2001 était hier inscrite au rôle de la cour d'appel de Biskra. Le temps semble jouer en faveur des bourreaux, puisque parmi les 39 victimes, seulement 3, Fatiha, Rahmouna et Nadia, étaient présentes à l'audience. Les avocats promis par le ministère de la Solidarité étaient absents, ce qui a accentué la peur chez ces femmes qui ont eu le courage de se déplacer de Sidi Bel Abbès, Hassi Messaoud et Alger pour venir confondre leurs bourreaux devant la cour de Biskra et lancer à l'adresse de ceux qui leur exigent de pardonner qu'elles ne reculeront jamais devant l'arbitraire. Fatiguées, encore traumatisées et désemparées, elles ont du mal à supporter pendant près de quatre heures (de 8h30 à 12h) les regards narquois et souvent provocateurs de leurs agresseurs alignés au box des accusés. Sur les 32 ayant été jugés en première instance, seulement 4 ont répondu aux convocations de la justice. Les autres, certainement rassurés par la compassion des notables et peut-être même quelques responsables locaux, notamment au sein de l'institution judiciaire, à leur égard, ont marqué de leur absence les trois audiences déjà programmées, dont celle d'hier. Mieux, les avocats de deux des quatre détenus ne se sont pas présentés. Dès l'ouverture du procès, le président a fait remarquer que la procédure pour la convocation de 28 accusés a été partiellement appliquée. Il a demandé à leurs acolytes présents s'ils acceptaient que la cour leur constitue une défense. Après trente minutes de délibérations, la cour, après avoir rejeté la mise en liberté provisoire pour les accusés, a renvoyé le procès à la fin de la session criminelle en cours (dans quinze jours) afin de permettre l'application de la procédure de convocation des accusés en état de fuite et la constitution d'avocats d'office pour ceux présents et sans défense. Un grand soulagement pour les trois victimes, représentées par deux avocats, maîtres Houhou et Benhocine. En dépit de cette décision, qualifiée par les avocats des victimes de « positive », Fatiha, Rahmouna et Nadia ont exprimé la peur de voir ce procès prendre un autre cours. « J'ai comme l'impression d'être le bourreau et eux les victimes. Le regard de leurs proches à notre égard est dur à supporter. A chaque fois, ils viennent faire pression sur nous pour que nous abandonnions le procès. Il n'est pas question pour nous de laisser ceux qui nous ont violées, sodomisées et mutilées sans jugement », a déclaré Fatiha. Rahmouna, mère de trois enfants, plus marquée par cette tragédie du 13 juillet 2001, n'arrive toujours pas à s'en remettre. « Parfois, j'ai des idées noires qui me traversent l'esprit et qui me poussent à aller me faire tuer comme une kamikaze contre le tribunal de Hassi Messaoud. De toute façon, ces criminels ont assassiné en moi tout germe de vie. Il ne me reste plus qu'à mourir et faire mourir avec moi ceux qui ont participé à innocenter mes tortionnaires parce qu'ils portent une grande responsabilité dans le drame que je vis avec mes enfants. J'erre de ville en ville avec mes enfants comme une SDF. Pourquoi la justice ne veut-elle pas réparer cette injustice ? Depuis le premier verdict, je ne me sens plus une citoyenne algérienne », dit-elle les larmes aux yeux. Elle ne cesse de répéter que les va-et-vient qu'elle fait pour être présente aux procès « ne servent à rien ». Pour elle, « la justice est faite par les hommes et pour les hommes ». Fatiha reste la plus persévérante parmi les victimes. Elle a laissé son bébé chez sa belle-famille pour venir d'une ville de l'ouest du pays « dans le seul but de leur montrer que ce sont les bourreaux qui doivent avoir honte et non pas moi ». Elle confie : « Comment pourrais-je pardonner à quelqu'un qui m'a sodomisée avec un manche à balai et qui a lacéré mes seins ? Comment Nadia peut-elle accepter de pardonner à celui qui l'a torturée, puis violée ? Comment Rahmouna peut-elle oublier que des jeunes qui ont l'âge de ses enfants lui ont lacéré le sexe et les cuisses ? Ce sont des témoignages que tout le monde doit écouter afin que plus jamais d'autres femmes ne puissent vivre cette situation. » Fatiha a pris contact avec toutes les autorités pour avoir gain de cause. Elle avait encouragé les autres femmes pour signer avec elle une lettre adressée au président de la République en juin dernier, le suppliant d'intervenir pour accélérer la procédure judiciaire contre ceux qui ont brisé sa vie et celle de 39 autres femmes à El Haïcha. Une lettre qui est restée malheureusement sans écho. « S'il n'y avait pas les moyens de Rachda pour nous héberger et nous aider à avoir un avocat, l'affaire n'aurait jamais abouti à ce stade. Les avocats demandent des honoraires très chers. La première avocate s'est désistée, peut-être à cause des pressions subies à Biskra, et nous ne savons pas si les deux avocats actuellement constitués ne vont pas subir eux aussi des pressions pour que le dossier ne soit plus d'actualité », a noté Fatiha, avant de regretter le silence de ceux qui ont été nombreux à exprimer publiquement leur solidarité et soutien dans les jours qui ont suivi leur agression à El Haïcha. Une remarque qui rappelle douloureusement l'absence de solidarité du mouvement associatif, notamment féminin, à l'égard d'une affaire qui touche essentiellement au droit à la citoyenneté ou tout simplement le droit à une dignité. Nadia a conclu en disant que ce qui s'est passé à El Haïcha est une honte pour l'Algérie et illustre assez bien le statut dans lequel la femme algérienne est maintenue.