La crise, clairement exprimée par la démission fracassante du président élu du CGN (Congrès général national), Mohamed Megaryef, en victime expiatoire de la loi contestée de la dékadhafisation, a atteint une dimension inquiétante. La déliquescence menace l'Etat par la montée des revendications autonomistes et l'exacerbation des rivalités tribales, elle porte les germes d'une guerre civile en gestation. A plusieurs reprises, le bras de fer entre les milices et les populations locales a failli tourner au drame. A Benghazi, le cas du soulèvement populaire traduit le refus de la présence des milices délogées par la vague des protestataires, dont certains armés, appelant les forces armées à prendre le relais. Pacifique, à ses débuts, la manifestation violente a viré à l'affrontement avec les milices de la brigade « bouclier du désert », pourtant placées sous l'autorité du ministère de la Défense. La dérive sanglante (31 morts et plus de 100 blessés), qualifiée de « très dangereuse » par le porte-parole du chef d'état-major, Ali Al-Chikhi, dénonçant cette « agression contre une force légitime », a davantage contribué à élargir le fossé qui sépare la population locale et les autorités qui peinent à exercer leur contrôle sur des milices tirant, pour certaines d'entre elles, leur légitimité d'une intégration dans les rangs de la police et de l'armée, souvent utilisées pour assurer la sécurité aux frontières et dans le règlement des conflits tribaux. De fait, le porte-parole de la brigade « bouclier du déser », Adel Tarhouni, se prévaut de cette « légitimité » pour plaider la présence milicienne fondamentalement incompatible avec les attributs de l'Etat du reste impuissant à former une armée professionnelle et efficiente. Les tensions sont à leur paroxysme. Les lendemains de violence sonnent la révolte contre « le massacre des civils par des milices », malgré l'appel à la retenue lancé par le CGN promettant des « mesures décisives ». Après l'épreuve de la brigade Ansar Charia, chassée en octobre de Benghazi, la milice « bouclier du désert », considérée comme étant la plus importante en armement et dirigée par l'ex-rebelle Wissam Ben Hamid connu pour ses liens étroits avec le mouvement islamiste, pose la problématique de la sécurité et des retombées de la crise libyenne sur la stabilité régionale. Cette situation a suscité les inquiétudes du président tchadien, Idriss Deby, évoquant, dans un entretien au « Figaro », les « camps d'entraînement dans le djebel Akhdar (près des côtes à l'est de la Libye) et des brigades qui se constituent à Benghazi, Tripoli et Sebha, au vu et au de tout le monde ». La sonnette d'alarme est tirée. « Le Mali a été le premier pays touché par les problèmes libyens, mais, il ne faut pas se leurrer, nous, les pays du Sahel, nous allons tous être touchés. Le Mali et le Niger, hier, demain, cela va être le Tchad. Et, aucun de nos pays ne peut s'en sortir seul face à cette armada ». Touché de plein fouet par le double attentat d'Agadez et d'Arlit, revendiqué par le Mujao et les « signataires avec le sang », le Niger a aussi crié à la menace venue du « sud libyen ».