Une nouvelle politique d'urbanisation sera, prochainement, sur le bureau du Premier ministre. C'est le ministre de l'Habitat, Abdelmadjid Tebboune, qui l'a annoncé, récemment, à Alger. Le temps est venu, selon lui, de « revoir de fond en comble » tous les aspects liés à l'urbanisation. En attendant, trois professionnels parlent de cette démarche. Djamel Djemaï, architecte, ex-SG du Conseil national de l'ordre des architectes (CNOA), a estimé que la question d'une révision globale de ce domaine est « très compliquée » même s'il estime qu'une nouvelle politique d'urbanisation est la bienvenue pour mettre le holà à la machine de « production de la médiocrité ». Mais d'abord le constat. La problématique de l'urbanisme en Algérie est avant tout un problème de l'habitat et de l'organisation de l'espace de vie des populations. Sentence : « On ne fait pas de l'habitat mais du logement », soutient-il. Il a fait savoir que la loi d'orientation foncière de 1990, qui institua la Direction de l'urbanisme et de la construction (PDAU), et le plan d'occupation du sol (POS) comme de nouveaux instruments de planification et de gestion du sol en remplacement des plans d'urbanisme directeurs (PUD), n'a pas empêché le constat d'aujourd'hui. Ces instruments sont sans efficience et dépassés. De ce fait, la mise en œuvre d'une nouvelle politique « est une démarche importante à saluer ». Mais pour qu'elle soit efficace, il doit y avoir une « volonté politique » et, surtout, une « prise de conscience des enjeux urbanistiques ». Des enjeux qui resteront incompréhensibles, poursuit-il, sans l'engagement d'un véritable débat et d'une réflexion sereine sur la question avec la participation de tous les acteurs : architectes, sociologues, psychologues, urbanistes, entreprises de réalisation et, surtout, la présence des autres ministères, à l'image de ceux des Transports, des Ressources en eau, de l'Energie et de l'Education. « Sans cette volonté politique, ce serait un coup d'épée dans l'eau », soutient M. Djemaï. Un ministère chargé de l'architecture et de la qualité de vie Pour lui, il y a nécessité de procéder à une répartition des missions, voire la création d'autres structures gouvernementales en charge de l'urbanisme et de l'architecture. Une structure capable de décloisonner entre départements gouvernementaux en y établissant des « ponts » de coordination « de façon à ce que ces derniers intègrent à leurs préoccupations propres celles du cadre de vie, commun à tous », préconise-t-il. En d'autre termes, il est bien temps, pour lui, de nommer « un ministère délégué chargé de l'architecture et de la qualité de vie ». S'il partage l'avis de M. Djemaï sur la situation, Abdelhamid Boudaoud, du Collège national des experts-architectes, se dit « pas convaincu par la démarche ». La raison ? « Le délai fixé par le ministre, un trimestre, coïncide avec l'élection présidentielle.Celle-ci pourrait chambouler toutes les cartes », a-t-il souligné. Pour le reste, l'architecte est tout à fait d'accord sur la nécessité de revoir la politique d'urbanisation actuelle. Les instruments d'urbanisation sont obsolètes, car « structurés en moyen et long termes toujours en décalage par rapport aux rythmes de croissance et d'urbanisation effrénés spécifiques à la situation algérienne », a-t-il noté. Selon lui, toutes les infrastructures réalisées sur le territoire national de 1962 jusqu'à 2010 n'ont ni permis de construire, ni acte de propriété, ni certificat de conformité. Mais pour comprendre l'origine du mal, il faut peut-être revenir un peu en arrière, dans les années 80. « C'est là que nous avons raté le virage de l'urbanisme. C'est précisément en 1984 lorsque les autorités de l'époque ont adopté le nouveau découpage administratif. De petites localités, à l'image de Boumerdès, Tipasa, Oum El Bouaghi et M'sila ont alors émergé, avant de devenir des villes florissantes par le biais de l'anarchie », a-t-il fait savoir. Privilégier l'intersectorialité Abdelhamid Boudaoud estime judicieux de procéder, avant la confection de la nouvelle politique d'urbanisation, à l'organisation d'assises sur le foncier. « Tous les présidents d'APC qui s'expriment dans les médias fournissent plein de détails sur leurs communes mais ne soufflent mot sur le foncier. Ce n'est pas normal », a-t-il lâché. A ses yeux, il est utile de définir d'abord quel projet de société nous voulons. Il n'a pas omis de mettre l'accent sur la nécessité d'associer tous les acteurs dans ce projet de mise en place d'une nouvelle politique. Amine Ikhlef, architecte et président du bureau régional de Bejaia, a salué la démarche du ministère mais, pour lui, elle doit être précédée par le bilan des différentes politiques mises en place depuis l'indépendance. « Même si le constat est, dans l'ensemble, négatif, il n'en demeure pas moins qu'il peut y avoir des éléments positifs qu'il faut prendre en charge et, surtout, renforcer », a-t-il suggéré. reproche à la politique actuelle de ne pas faire la distinction entre l'habitat et le logement dans la manière de construire. Résultat des courses : la prolifération des cités dortoirs. « Il est important de prendre en charge, dans la nouvelle mouture, les questions du foncier, les spécificités régionales ainsi que les caractéristiques culturelles de chaque localité », estime-t-il. Sauf que le plus important, à ses yeux, est que la question de l'urbanisme n'est pas du seul ressort du ministère de l'Habitat, mais aussi une action intersectorielle.