Ils sont un peu plus de 30 000 handicapés recensés dans la capitale de l'Est, un chiffre qui liste Constantine dans la moyenne nationale. La prise en charge des handicapés reste une préoccupation majeure pour les associations et les parents. Les efforts consentis jusque-là par les pouvoirs publics ne sont pas à la mesure des besoins affichés par cette catégorie de la société qui affronte difficilement les vicissitudes de la vie. Depuis leur jeune âge, ils sont confrontés à beaucoup de problèmes : le manque de scolarité pour certains et l'abandon prématuré pour d'autres—les centres spécialisés étant insuffisants—, jusqu'à l'adolescence et l'âge adulte, rien n'est fait ou très peu pour améliorer leurs conditions de vie. L'environnement, l'entreprise économique, l'école, pour ne citer que ces exemples semblent leur tourner le dos. En apparence et vu ses capacités, la ville semble être moyennement lotie en termes d'infrastructures avec onze centres pour les enfants handicapés moteurs, mentaux, non-voyants et sourds-muets. Ceci dit, si les équipements ne manquent pas et la prise en charge des enfants est assurée par un personnel de qualité, les listes d'attente gonflent d'année en année, 120 personnes attendent leur inscription dans chaque centre, selon les chiffres de la DAS. Mais au-delà de ces problèmes logistiques, il faut dire que les vrais soucis pour un handicapé apparaissent dans l'après-scolarisation ou dans l'après-formation, nombreux les handicapés ayant terminé leur cursus scolaire qui se retrouvent souvent dans une impasse. Outre la difficulté de se faire accepter dans des écoles publiques, comme le souligne M. Rehalia chargé de communication au niveau de la DAS, les infirmes sont livrés à eux-mêmes, lâchés dans une société qui doit normalement prendre le relais des centres et les prendre en charge. Mais où ? Selon la DAS, la directive adressée aux entreprises (d'intégrer au moins 1% de handicapés dans leur effectif) n'est pas respectée. Aucun chiffre officiel n'est communiqué pour rendre compte du phénomène, personne ne contrôle les entreprises, mais le pire est que même les entreprises n'ont que faire des handicapés. D'autre part, la responsabilité parentale est, elle aussi, décisive, car beaucoup de parents se contentent de faire inscrire leurs enfants dans des centres sans pour autant fournir d'efforts comme le constate M. Rehalia. «L'enfant mentalement malade est certes bien accompagné dans les centres mais dès qu'il rentre chez lui, il est souvent abandonné. Certains parents ne nous aident pas, il n'y a pas de continuité dans l'apprentissage des enfants». Par ailleurs, si les enfants handicapés moteurs ou mentaux sont plus ou moins protégés, les adultes vivent par contre une souffrance au quotidien, aggravée par le mépris, voire le rejet de la société. A ce sujet, qui peut en parler mieux que les handicapés eux-mêmes ? Nous avons ainsi pu rencontrer certains d'entre eux et qui ont profité de l'occasion pour étaler leurs problèmes, du plus anodin au plus grave. Et malgré leur situation socio-économique difficile, ils ne demandent pas pour autant qu'on prenne en considération ces problèmes là mais qu'on les écoute seulement. Le président de l'association des handicapés moteurs de la wilaya (qui regroupe huit associations), M. Kamel Boukebab qui milite depuis une trentaine d'années en sait quelque chose sur l'indifférence générale qui s'est installée vis-à-vis des handicapés. Je suis entouré de personnes qui souffrent tous les jours parce que, la société y compris, les autorités les a abandonnés. Nous avons par exemple des jeunes filles qui travaillent depuis 15 années dans une administration. Elles font le même boulot, voire plus que les autres mais elles touchent 3000 DA par mois et encore plus grave elles n'ont même pas de contrat de travail. Dans beaucoup de cas, les handicapés sont virés à la moindre occasion, souvent sans raisons. Il y a une discrimination flagrante. Mais en plus de ces interrogations, ce qui irrite le plus c'est le comportement des citoyens «normaux» qui, selon lui, ont perdu tout sens de compassion et d'humanité. Les exemples ne manquent pas pour décrire le calvaire des handicapés moteurs : «Le problème est culturel. Au début, nous formions les handicapés pour qu'ils s'intègrent à la société, mais nous nous sommes aperçus que le problème vient de la société. Les espaces pour handicapés dans les lieux publics ne sont pas respectés, pire, certains ne connaissent même pas la signification du logo des handicapés». Dans le même contexte, M. Zebouchi Meki, ancien président de la Fondation nationale pour les handicapés, aujourd'hui président de l'association Moustakbel et Ibtissama, avoue qu'en prenant du recul, il constate que le sentiment d'injustice pour un handicapé est plus flagrant qu'auparavant : «Même pour prendre un taxi c'est devenu une souffrance. Je m'occupe d'une association Moustakbel et Ibtissama à la nouvelle ville Ali Mendjeli qui regroupe 300 jeunes, j'ai frappé à toutes les portes pour avoir un local, mais j'attends toujours une réponse», regrette-t-il.