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« La transcription correcte des toponymes a des aspects stratégiques » Ouerdia Yermèche, docteur d'état en sciences du langage, professeur responsable du pôle linguistique à l'école normale supérieure de Bouzaréah
Quelle est la situation de la toponymie algérienne ? La toponymie en Algérie se porte plus ou moins bien. Il y a deux constats à faire : le manque de prise en charge par les institutions nationales de ce patrimoine toponymique et l'apparition d'une anarchie qui menace l'existant. Il est regrettable de dire que jusqu'à aujourd'hui, il n'y a pas véritablement une politique de gestion efficace de la dénomination des lieux. Les études effectuées par le groupe du CRASC d'Oran sur l'état toponymique de cette ville ont montré qu'aucun lieu n'a été nommé depuis l'indépendance. Ce manque d'intérêt pour ce domaine a engendré l'anarchie toponymique. Ça veut dire que la population nomme comme elle veut, sans critère objectif. Cette situation a donné lieu à des aberrations toponymiques. L'autre constat est la présence en masse des dénominations multiples des lieux. Comment expliquer que les anciennes générations connaissent les noms de toutes les rues d'Alger, alors que les jeunes ne se reconnaissent ni dans les anciennes ni dans les nouvelles dénominations ? Cela relève d'un problème d'éducation. Il fallait commencer par apprendre aux jeunes la carte géographique non pas du territoire national, mais de leurs quartiers d'abord. Les noms d'Alger sont des noms de chouhada et cela doit être enseigné à l'école, donc il y une défaillance au point où même l'histoire algérienne n'est pas enseignée correctement. Il y a aussi un manque de communication qui fait que les jeunes ne connaissent pas leurs quartiers. Quand on demande la direction d'un lieu, les gens ne sont pas capables de le nommer, alors qu'ils y habitent. Ils ont tendance à vous montrer des directions, des sens et se référer à des repères physiques, plutôt que de donner des noms à des rues et des lieux. Au point où on a l'impression qu'on est dans un no man's land, un endroit non désigné. Nous avons aussi constaté, lors de nos enquêtes, que les communes n'indiquent pas les lieux par une signalisation et une plaque correctement faite qui porte le nom et des renseignements sur la personnalité. Quelle est la procédure de la dénomination d'un lieu ? C'est une mission confiée aux autorités communales d'abord, mais il y a un texte qui délimite les prérogatives de cette autorité locale et donne au ministère des Moudjahiddine une grande place dans le choix des noms des lieux. Nous, scientifiques, avons proposé lors de notre étude sur Oran, les différentes catégories possibles de dénomination qui ne sont pas seulement des noms de chouhada, car géographiquement parlant, il y a des caractéristiques physiques de l'endroit qui peuvent décider de sa nomination. Il n'y a pas que les anthroponymies, c'est à dire les noms de personnalités qui permettent de donner des noms à des endroits alors, qu'actuellement on assiste à une voie unique. Ce sont les évènements historiques et les noms des personnalités politiques qui dominent, alors que la réglementation algérienne ne prévoit pas cette limitation. Je reproche au ministère des Moudjahiddine d'avoir la mainmise sur les dénominations. Jamais ils nous ont consulté ne serait-ce que pour un avis ou pour participer à donner un nom. Il faut élargir cette commission locale à des chercheurs et des experts du domaine. Quelle est la place de la société civile dans ce travail ? La société civile est directement impliquée dans cette opération vu que la population s'identifie à ces noms. On retrouve Didouche Mourad et Larbi Ben M'hidi partout. Certes, ce sont des personnalités historiques importantes, mais qu'il faut donner à de grands édifices c'est-à-dire à un hôpital, à un aéroport, à une université ou autre pour faire rayonner leurs noms et laisser les établissements locaux à des personnalités locales comme les poètes, les artistes, les écrivains, les musiciens, les historiens et autres. C'est ainsi qu'on éduque un peuple en lui montrant ces valeurs culturelles, identitaires et linguistiques. Il faut aussi préciser que la toponymie est représentative d'un pays, d'une tradition.