Dib El Ayachi fait, certainement, partie de cette élite qui a pris sur elle la lourde tâche de préserver et promouvoir ce patrimoine lyrique vieux comme le monde. Son passage, samedi dernier à la salle Ibn Zeydoun à Alger, en est une énième démonstration. Invité par l'Office Riadh El-Feth dans le cadre d'une tournée qui le conduira prochainement à Tipasa, Blida, Boumerdès, le digne héritier de Hassan El Annabi a donné un récital à la hauteur de son talent. Au bonheur d'un public timide mais ô combien admiratif. D'où, au demeurant, l'enthousiasme affiché par le maître de céans, promettant à ses fans, une démonstration de force peu vue dans pareil contexte. Flanqué d'un orchestre cossu, où plastronne, C. Aouabdia, son inénarrable violoniste et puissant choriste, Dib El Ayachi n'a pas fait mystère de son savoir-faire en engageant son auditoire dans une longue et riche litanie de textes du melhoun, aussi prestigieux, les uns que les autres. Non sans avoir auparavant délecté son monde d'une introduction instrumentale, « Bachraf Aârayssi », dans la pure tradition du malouf constantinois, il donne de la voix à de célèbres qacidate puisées dans la poésie populaire maghrébine, telles que « Dhalma » de Henni Benguenoun (1761-1864), le grand poète de Mascara, ou encore l'immortel « Frag Ghzali » du Tunisien Ahmed Chaouch. Au-delà de son esthétique sans commune mesure avec ce que l'on trouve dans de plusieurs corpus, « Frag Ghzali » chante les affres de l'amour d'un poète contraint, par son père, d'abandonner la femme de sa vie. Hanté par la force du vers et du verbe, et par la poignante musique qui accompagne ce douloureux crime d'amour, cheikh El Ayachi s'est distingué par une interprétation d'une force telle qu'elle a laissé pantois un public totalement ensorcelé. Le pic de la soirée fut atteint avec l'exécution magistrale de « Galou Laârab Galou ». L'un des chefs-d'œuvre du patrimoine populaire de la ville de Constantine, composé à la mémoire du plus célèbre des beys ottomans du Beylik de Constantine, Salah Bey. Visiblement, le poids de l'âge et les vicissitudes de la scène ne semblent pas atteindre l'homme par qui Annaba arbore fièrement son malouf. Sa voix redouble de force et de variations à mesure qu'il négocie des envolées pas simples à entonner. La touche magique de son luth fait le reste et donne à l'homme un charisme quasi spirituel. Que ce soit dans le mode classique ou dans le profane, cheikh Dib El Ayachi confirme, encore une fois, un savoir-faire qui le place aujourd'hui à la tête du peloton du genre malouf et dans la musique andalouse en général. « J'ai tenu à donner le meilleur de moi-même pour faire plaisir au public qui n'a pas été très nombreux hélas. C'est ma philosophie de l'art, le respect sans faille de mes admirateurs que je ne prive jamais, quelle que soit la situation de ma musique », insiste le grand cheikh à la fin du spectacle. Il n'a pas manqué par ailleurs d'appeler les jeunes talents à observer un respect sans faille de la tradition andalouse telle que rapportée et transmise par les ancêtres.