L'espoir généré par le capitaine Moussa Dadis Camara (45 ans) n'a pas duré plus de dix mois. Le 24 décembre dernier, au lendemain de la mort du président Lassana Conté, qui a régné sans partage sur la Guinée depuis 1984, de s'attaquer à la corruption, le népotisme et le narco-trafic, renégocier des contrats miniers bradés à des sociétés étrangères pour le prix de quelques pots-de-vin, emprisonner les criminels, commander l'audit des ministères, restructurer une armée déliquescente et rendre rapidement aux civils les rênes du pouvoir saisi, sous le coup d'une « inspiration divine » et au nom du « sacrifice » pour l'intérêt général, n'a pas duré plus de dix mois. Le chef du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), qui avait promis que « ni le Président, ni les membres du CNDD, ni le Premier ministre ne se présenteraient aux élections présidentielles » de janvier prochain, a pris goût au pouvoir qu'il ne veut plus lâcher. Quitte à irriter la population guinéenne e l'Union africaine qui lui a donné, le 18 septembre dernier, par le biais de son Conseil de paix et de sécurité, un mois pour s'engager par écrit à ne pas se porter candidat au prochain scrutin, sous peine de sanctions. Lundi, il a accueilli la jeunesse guinéenne qui a répondu par milliers au Forum des Forces vives au stade de Conakry pour lui rappeler pacifiquement ses « engagements », par des balles réelles. Comme pour dissuader toute prochaine manifestation, l'armée a attendu que le stade soit rempli pour y entrer à son tour et tirer. Le bilan est très lourd : 87 morts, selon la police, des dizaines de morts, selon le corps médical, 157 morts et 1253 blessées selon l'Organisation guinéenne de défense des droits de l'Homme (OGDH). L'Union des forces républicaines (UFR, opposition) dont Sydia Touré, le président, qui a été blessé, déclare que ses militants ont vu des militaires « ramasser des corps dans les rues pour les emmener au camp Alpha Yaya Diallo, siège de la junte, pour, explique ce parti, «éviter un comptage précis du nombre de tués qui révèlerait l'ampleur du massacre». Plusieurs partis et ONG affirment que des femmes ont été violées par les forces de sécurité, dans des casernes et des commissariats. Dans une interview accordée lundi soir à RFI, le chef de la junte, qui s'enorgueillit d'être arrivé au pouvoir sans effusion de sang, s'est dit « désolé » pour les victimes. «C'est malheureux, c'est dramatique (...). Très franchement parlant, je suis très désolé, très désolé», dit-il. Ce «lundi noir» a signé probablement la rupture entre le CNND, adepte de la stratégie de la canonnière, et les Guinéens. Même s'ils n'ont pas de problèmes ethniques, ils redoutent les menaces d'une guerre civile qui planent sur leur pays qui regorge de richesses naturelles (bauxite, fer, or, diamant, nickel, uranium) convoitées par de grands groupes internationaux. L'Union africaine s'inquiète pour ce pays qui pourrait devenir la poudrière de l'Afrique de l'Ouest. Elle exige la libération immédiate des personnes arrêtées et la traduction en justice des responsables des violences. L'Union européenne, qui a placé, fin juillet, la Guinée sous surveillance en attendant un retour à l'Etat de droit, déplore « l'usage excessif » de la force contre des manifestants. Elle appelle les forces de sécurité à « la retenue et à respecter l'Etat de droit, y compris le respect des droits humains fondamentaux ». Les Etats-Unis demandent à la junte de tenir sa promesse d'organiser dans le délai prévu des élections libres, justes et transparentes, auxquelles ne participera aucun de ses membres et de conduire une enquête et, «si les faits l'exigent», de punir les responsables de ce que les médecins à Conakry ont qualifié de «boucherie» et «carnage ». L'Organisation des Nations unies, qui, par la voix de Ban Ki-moon, a condamné la violence, demande au CNDD de « respecter ses engagements antérieurs à ne pas participer aux élections » et de « coopérer pleinement avec le Groupe international de contact sur la Guinée ».