Nostalgie n Avant même de goûter à la chorba, les gens contraints de rompre le jeûne au niveau des restos du cœur appellent leurs familles. On n'entend, en effet, que des interrogations du genre : «Vous avez bien jeûné ? Vous êtes tous en forme ? Qu'êtes-vous en train de manger ?....». Les discussions prennent près de dix minutes. «Ce repas ne peut avoir aucun goût si je ne parle pas à mes parents, ma femme et tous mes enfants. Le téléphone portable est une bénédiction, permettant à chacun de rester en contact permanent avec les siens», affirme Ali, fonctionnaire dans une administration publique à Alger, originaire de Bordj Bou-Arréridj. Les travailleurs constituent l'écrasante majorité des gens qui viennent rompre le jeûne au niveau de ces restaurants mis à la disposition des nécessiteux et des voyageurs. Ici, personne ne se soucie de celui qui est assis à ses côtés, on n'entend que rarement, la rituelle formule «saha ftourek». On a l'impression que certains s'empressent de terminer de manger afin de quitter la salle au plus vite. «Je veux prendre un café et une cigarette. J'ai pris l'habitude chez moi de manger peu après l'Adhan. Après avoir pris un bon café et fumé quelques cigarettes, je reprends le repas. Allah ghaleb, je ne peux pas me passer de ces deux poisons», avoue Aâmi Amar, la cinquantaine, chauffeur dans une administration publique, originaire de Aokas, dans la wilaya de Béjaïa. Notre interlocuteur n'est pas le seul à «fuir» le resto après avoir pris quelques cuillères de chorba et mis le dessert dans sa poche. Au deuxième jour du ramadan, le resto de la rahma ouvert par le Croissant-Rouge à la rue de Mulhouse grouille de monde. «On s'attendait à cette situation, puisque les travailleurs ont repris le service aujourd'hui, dimanche. Nous allons tout faire pour que chacun prenne son repas», affirme, déterminé, l'agent chargé de l'accueil. L'affluence la plus forte est constatée aux dix dernières minutes précédant l'Adhan. De longues files se forment à l'entrée de ces restaurants de solidarité. «Cela me rappelle les années d'université. La même file d'attente et presque le même menu durant le ramadan.», affirme Lakhdar, la trentaine, un comptable originaire de Sétif. Il est vrai que certains tentent de créer une ambiance en racontant des blagues, mais rares sont ceux qui sont branchés. La mine crispée se lit sur le visage de ces gens dont le seul souci est de rompre le jeûne. «Ces restos remplissent le ventre, mais ne peuvent jamais remplacer la chaleur familiale», résume un quinquagénaire.