Peine Cette impression de rejet est connue et douloureusement vécue par tous, y compris les plus jeunes. Le foyer de Dely Ibrahim compte 210 femmes. Chacune possède son lit garni d?un drap fleuri et un petit meuble où elle range ses effets vestimentaires, quelques souvenirs de famille et les cadeaux qui lui sont offerts. Les pensionnaires, en particulier celles atteintes de troubles mentaux, errent où bon leur semble, se perdent un peu dans le jardin, entrent et sortent dans les bureaux de l?administration et reviennent aussitôt à leur place. Les plus âgées restent, pour des raisons de santé et surtout par lassitude, au fond de leur lit. Tiraillées par la douleur de la séparation, elles préfèrent rester cloîtrées dans leur coin, loin du monde et de ses déceptions. Celles qui se montrent un peu plus résistantes tentent difficilement de faire quelques pas dans les couloirs pour ranimer leur vieux corps défraîchi. Leur mine grise et leurs yeux creusés par la déprime donnent à ces femmes l?apparence d?une âme en peine. L?attente d?un parent qui tarde à arriver le jour des visites ou l?espoir que sa famille vienne la réclamer met leur patience à rude épreuve et accentue leur peine. Cette expression de rejet est connue, même par les plus jeunes. Le foyer de Sidi Moussa compte parmi ses hôtes des frères et des s?urs abandonnés, en groupe, par leur famille. La directrice du foyer cite l?exemple de deux filles chassées par la marâtre et dont le père habite à 10 minutes, à vol d?oiseau, du centre, mais qui ne leur rend jamais visite. «Elles le réclament très souvent et pleurent son absence. Pour le sensibiliser, nous nous sommes même rendus chez pour lui parler de la situation de ses filles, mais il refuse de se manifester.» Mme Silarbi a également évoqué le cas de trois autres enfants handicapés dont leur père les a jetés aux oubliettes. Hormis les rares cas classés sous «x», les responsables des foyers possèdent les informations complètes sur la majorité de leurs locataires. Ces derniers sont fichés avec nom et prénom et adresse de leur famille, mais cela ne semble être d?aucune utilité. Si la famille n?accepte pas de reprendre son ou ses parents, il n?existe aucun moyen légal pour faire pression sur elle. De ce fait, la réinsertion des personnes abandonnées pose problème, notamment pour les célibataires atteints de débilité et/ou de handicap et dont les proches se rejettent la responsabilité. Le nombre limité de ces établissements peut expliquer les longues listes d?attente de personnes déclarées sans abri qui attendent leur prise en charge par un hospice. Mais certains responsables de foyer attestent du fait que la plupart des dossiers de leurs pensionnaires sont entachés d?irrégularités, affirmant qu?ils sont confectionnés avec la complicité d?agents des services des APC qui aident ainsi certaines personnes dans leur «sale besogne», celle de se débarrasser de leurs parents. Au foyer de Bab Ezzouar, réservé à la gent masculine, on compte 176 célibataires et 26 divorcés et 8 pères de famille. Les célibataires ont passé leur vie à sillonner le pays sans avoir l?occasion de se stabiliser dans un endroit précis ni les moyens d?acquérir un logement pour fonder un foyer. Certains n?ont pas vécu malheureux, mais ils se retrouvent aujourd?hui seuls, sans famille, sans enfants qui prennent soin d?eux à cette étape de la vie. Nombreux sont ceux qui sont victimes d?une injustice sociale ou d?un manque de moyens qui les prive du droit de vivre comme les autres.