Insalubrité n À peine entrés, une odeur désagréable, de moisi, nous accueille au seuil du vestibule. L'éclairage était faible, mais il n'empêche pas de voir les taches noirâtres sur les murs de cette cave dont la surface est difficile à évaluer. Il y a, en tout cas, trois grandes pièces d'environ 50 m2 chacune qui n'ont aucune ouverture sur l'extérieur, hormis la porte d'entrée. Le gérant, tout en croyant qu'il a à faire à de vrais clients, nous conduit dans la première pièce à travers un couloir très étroit. «Constatez vous-mêmes que c'est complet. Toutes les places sont prises. Depuis presque quatre mois, aucun lit n'est libre», répétera sans cesse Ami Mokrane, comme l'appellent les habitués du dortoir. L'endroit est beaucoup plus hideux qu'on le croyait. En effet, l'humidité et l'absence quasi totale d'aération rendent l'atmosphère chargée et irrespirable. On se serait cru dans une prison des temps révolus, n'était l'existence d'une dizaine de lits superposés, avec tout de même une literie bien rangée. Les murs n'ont plus de couleur tellement ils sont couverts de moisissure. L'odeur repoussante qui se dégage de l'intérieur de la pièce ajoute sa part de turpitude à ce «cachot». L'homme revient à la charge pour nous expliquer : «C'est l'effet de l'humidité. Été comme hiver, cette odeur ne change jamais». Ami Mokrane n'est nullement gêné ni par les conditions lamentables dans lesquelles il travaille depuis plusieurs années, ni par le décor qui s'offre aux visiteurs et encore moins par notre présence. «Suivez-moi, je vais vous montrer l'autre pièce.» La pièce en question, située en bas du couloir, ne ressemble en rien à ce que peut imaginer un étranger à cet endroit. Là aussi, il n'y a pas d'ouverture et il faut patienter un peu pour s'adapter au noir puisque l'éclairage n'est pas suffisant. Le spectacle est ahurissant. L'odeur nauséabonde émanant de la moisissure des lieux est trop forte. Il n'y a pas de lits superposés comme dans la première pièce, mais des «tentes» érigées à l'aide de tissu et de bâches imperméables dans un espace sombre comme un caveau. Il y a environ une dizaine de tentes qui ressemblent un peu plus à ces baraques de fortune qu'on a l'habitude de voir dans les bidonvilles et les marchés de proximité. A l'intérieur de chacune d'elles, un espace où on trouve un lit et quelques affaires tels des vêtements et des souliers éparpillés sur le sol. Pourquoi toutes ces bâches ? « C'est pour éviter la pénétration des eaux provenant des étages supérieurs et celles qui se forment au dessous du plafond sous l'effet de la forte humidité», explique le gérant de ce bas fond. Nous n'avons pas eu suffisamment de temps pour mieux découvrir ce dortoir où les locataires payent 1 500 DA par mois. Les rares occupants, croisés lors de notre visite éclair, discrétion oblige, n'ont même pas voulu nous parler. Mais selon certains témoignages émanant de ceux qui ont déjà vécu dans cet endroit, les rats, les acariens, les champignons toxiques et le plomb qui se dégage des murs vétustes minent cet espace. Ainsi, dans de pareilles conditions, attraper des maladies, notamment respiratoires, n'est pas à exclure. Ce qui n'empêche pas le dortoir d'afficher complet à longueur d'année.