Constat n Le comédien algérien aspirant à plus de reconnaissance est tenté de quitter les planches pour le cinéma ou la télévision. Autrefois, dans l'Antiquité, le comédien n'existait pas dans le regard et l'esprit – et même dans la conscience du public – comme tel, c'est-à-dire comme un élément à part entière, une partie intégrante au spectacle théâtral, comme quelqu'un qui a sa place et son rôle dans la construction du jeu et du spectacle. Il y avait une vision réductrice du comédien, vision qui l'a longtemps relégué au second rang. C'était le spectacle en soi qui primait et non pas celui qui le faisait. Le public et la critique ignoraient aussi bien ses mérites que ses performances. Qu'en est-il aujourd'hui ? A cette question, Abdenacer Khellaf, critique d'art dramatique, répond : «Le comédien est devenu aujourd'hui professionnel, alors qu'il n'était qu'un instrument, un interprète. Il possède des bases, qui lui permettent de fonder l'art de l'actorat : le comédien est arrivé à devenir une tête d'affiche.» Il se constitue et se considère alors comme étant le moteur du spectacle théâtral. Et qu'en est-il du comédien algérien ? «Le comédien algérien n'est que le legs de ceux qui l'ont déjà précédé. Il a certes des capacités, mais il reste néanmoins un participant dans la construction du spectacle théâtral.» Le critique regrette que «la plupart des comédiens soient partis avec un esprit qu'ils sont des fonctionnaires, des employés dans les théâtres régionaux et le théâtre national – les théâtres étatiques se présentent comme une fonction publique».«Seuls ceux du théâtre indépendant, c'est-à-dire le théâtre amateur sont libres, autonomes.» Il regrette aussi que les comédiens s'orientent vers le cinéma ou la télévision, tournant ainsi le dos au théâtre. «Les comédiens fuient les planches. Il y a une sorte de trahison : ils ont trahi les planches», constate-t-il. «Car le théâtre est devenu trop exigu. Il étouffe en quelque sorte. Il ne peut pas évoluer – et, par conséquent, s'épanouir», explique-t-il. C'est pour cela que dès que l'occasion se présente à lui, «le comédien n'hésite pas à quitter, à fuir les planches pour ne plus revenir, parce que le théâtre c'est beaucoup d'efforts, c'est un travail colossal ; il exige une présence continue. En plus, ça ne paie pas assez, et il n'y a pas la popularité tant espérée, alors qu'au cinéma ou à la télévision si». C'est ainsi que le comédien du théâtre étatique est attiré par la gloire et l'argent, contrairement à l'amateur qui, lui, éprouve encore l'amour et la passion pour le théâtre : «Il croit que le théâtre a le pouvoir du changement», relève le critique, précisant que «pour l'amateur, l'argent ou la gloire viennent en deuxième position, ce qui compte pour lui, c'est la création. Il trouve un plaisir dans le jeu, car il se considère comme le véhicule d'un message, et parfois l'amateur vit du théâtre même s'il n'est pas professionnel.» Par ailleurs, le critique constate que «la plupart des comédiens qui évoluent dans les théâtres régionaux ou le théâtre national, sont des amateurs, et à travers les festivals, les théâtres régionaux ont pu découvrir des énergies, des potentialités qu'ils vont puiser dans le théâtre amateur». l S'exprimant sur le niveau des comédiens, Nacer Khellaf, pour qui l'amateur a une passion pour le théâtre plus forte que celui qui évolue dans les théâtres régionaux ou bien national, dira : «Il y a des potentialités, des énergies.» Mais le critique déplore quelques irrégularités dans la pratique théâtrale algérienne : «On peut constater que certains sont à la fois auteurs, metteurs en scène et comédiens.» Il pense que si «certains comédiens sont exploités positivement par les metteurs en scène et présentés comme une force créatrice, d'autres restent figés dans leur jeu, toujours dans le même rôle ou dans le même type de personnage et ne font rien pour sortir du carcan dont ils sont prisonniers et dépasser l'image qui leur colle à la peau. Ils ne cherchent pas à se renouveler ni à évoluer». Le critique regrette, en outre, l'absence de continuité : «On tombe sur un metteur en scène qui, par manque d'expérience ou d'imagination, détruit le spectacle et, du coup, nuit au comédien, cela fait que celui-ci disparaît des planches.» «Il y a certains comédiens qui choisissent leur personnage par rapport au cachet que leur offre le théâtre qui les engage, un rôle qui ne leur va pas, mais qu'ils acceptent malgré eux, seulement parce qu'ils ont besoin de travailler pour gagner de l'argent. Cela fait que leur niveau baisse, ou bien on ne les revoit plus – cela est dû aussi à un manque de production théâtrale continue.» Enfin, le critique déplore que la pratique théâtrale soit motivée par un esprit de compétitivité : «Il y a des théâtres régionaux travaillant seulement pour les festivals, pour la compétition, et non pas pour le 4e art. Le comédien, lorsqu'il monte sur les planches, c'est avec l'idée de remporter un prix. Cela nuit, à coup sûr, à l'activité théâtrale qui relève d'un travail collectif. L'individualisme l'emporte sur l'art.»