InfoSoir : Quels sont à votre avis les facteurs sociaux ayant contribué à la prolifération de ce fléau ? Mme Nacéra Meraha : Il n'y a pas d'indicateurs fiables qui nous permettent d'affirmer que la délinquance juvénile a pris de l'ampleur. Sur le plan sociologique notamment. Le nombre a augmenté, certes, mais quelle signification pourrions-nous donner aux chiffres ? Et quels sont les paramètres, associés à ces chiffres ? Et puis que doit-on entendre par délinquance ? La définition et la perception de la délinquance, surtout juvénile, sont relatives. Ce qui est considéré comme délinquance, comportement inacceptable pour et par certains, sera perçue par d'autres, comme étant une force de caractère et une construction de la personnalité. Les problèmes liés aux troubles de l'adolescence provoquent un comportement refusé par les adultes qui se voient remis en cause dans leur autorité contestée par ces jeunes. Cela est souvent considéré comme de la délinquance. Dans des sociétés et milieux plus «cléments», les petits actes de remise en cause de l'autorité, qu'elle soit parentale ou institutionnelle, sont moins dramatisés. Les jeunes ne sont pas sanctionnés, mais suivis, orientés par des psychologues et autres spécialistes du comportement. Peut-on dans ce cas parler quand même de prolifération ? Toutes les générations sont nostalgiques d'une époque précédente, idéalisée. Pourtant, les adolescents d'hier, vus comme des délinquants ; deviennent des adultes, qui oublient leur comportement d'il y a, à peine, vingt ans. Si le nombre augmente, cela est lié à la démographie et au manque d'exutoire. Dans le passé, ceux qui se sont engagés dans la guerre, ou bien les bandits d'honneur, n'étaient-ils pas considérés comme des délinquants ? Ils sont bien devenus, des héros. Et les exemples sont nombreux…. La démission des parents serait, selon beaucoup d'observateurs, à l'origine de ce phénomène. Qui peut prétendre, en tant que parent, ne pas être désarmé face à son enfant en pleine crise d'adolescence ? Comment ose-t-on prétendre que les parents sont démissionnaires, alors qu'ils continuent de gérer, seuls, tant bien que mal, des enfants sans soutien psychologique, ni spécialiste ? Il faut éviter de reproduire ces clichés, portant un jugement sur les conditions et la manière de gérer une famille dans des conditions de vie très difficiles et un climat de violence multiforme. Le rôle de l'école, qui est l'institution de base de la société est, en revanche, à revoir, à valoriser. L'école reproduit, en son sein, le modèle de la société, tel que véhiculé par des enseignants qui n'ont pas bénéficié de formation, ni de perfectionnement performant et volontariste, portant un projet de société moderne et universel. Les valeurs qui régissaient la société algérienne ont-elles changé au fil du temps ? Pourquoi ? Les valeurs n'ont jamais été définies, tout le monde en parle. Elles semblent évidentes mais chacun leur donne, le contenu qui lui convient. On prétend qu'elles ont religieuses, musulmanes, laïques ou universelles. On entend, souvent, nous sommes musulmans, nos traditions, les valeurs arabo-musulmanes, etc. Honnêtement, y a-t-il une société, une religion, un pays, où les parents et l'Etat appellent à la délinquance, au vol, au viol, à l'assassinat. En revanche, les valeurs qui ont changé, sont liées à une idéologie, prétendument, islamiste qui a remis en cause les convictions ancestrales et la perception de la pratique et des préceptes religieux. Au-delà de toute remise en cause de l'autorité, quand un enfant est ébranlé, vis-à-vis des croyances religieuses et des pratiques de ses ancêtres, il perd tout repère et la conséquence a été la décennie du terrorisme, pendant laquelle, on tuait, aveuglément, parents, voisins, imams, etc. Selon l'angle où l'on se place, la notion de la délinquance est vue différemment. * Universitaire, sociologue et chercheur