El-Attaf autres temps, autres m?urs, quand le foncier l?emporte sur le bon vivier, quand l?inculte provoque les tumultes, le verbe se morfond dans l?oubli, et le souvenir est le seul remède des nostalgiques. Une vieille dame de passage en ville, le cartable à la main, l?apparence d?une disciple de la bonne vieille école française, les traits d?ébahissement et d?hilarité ornaient son beau visage car contemplant ce coin de la ville qui était son passage obligatoire pour aller au seul CEM (CEG) qui a vu naître la crème de ce bon petit village. Son regard si lointain allait du bout de la place à l?ancien marché couvert. Ma curiosité me poussa alors à orienter cette étrangère qui, les larmes aux yeux, paraissait aussi troublée qu?égarée au milieu de cette foule insoucieuse et vaquant à ses occupations. Interrogeant la dame, celle-ci me dit : «ce kiosque est nouvellement bâti, n?est-ce pas ?». Je répondis par l?affirmative. La jolie dame murmurait ses regrets de n?avoir pas été informéà temps pour assister au moins aux funérailles. «De quelles funérailles ?», dis-je. «Du sapin du philosophe !», enchaîna la dame. Face à la gare aux façades de verre, un parchemin en pierre, seul témoin de l?architecture française en forme serpentée ; juste à sa droite, un sapin dominait la rue, telle une tour enjolivant et défendant tout le coin. La rue croisant le jardin était jonchée d?arbustes et le parterre était si beau en hiver, car la brique plein le composant brillait à la rencontre de la pluie si abondante en ces temps. Ce sont les années fastes de la ville, à l?image du pays, une petite ville appelée Petit-Paris où l?eau coulait à flots, où tout était beau, où on ne connaissait de la mer que la couleur car l?oued était toujours l?attraction estivale. Une poignée de jeunes se réunissait chaque week-end sous ce sapin pour élire refuge sous l?ombre accueillante et salvatrice de cet arbre si généreux. Chacun de ces lycéens lisait aux autres ce qu?il avait réalisé comme sujet d?écriture, les discussions allaient jusqu?à l?aube pour délibérer, le lendemain, le sujet du jour, le taper à la machine et l?afficher à la maison de jeunes, lieu de prédilection de ces jeunes. Parmi eux, feu mir Ahmed, devenu l?un des plus grands professeurs de lettres françaises de la région et auteur d?essais non édités à nos jours, aimait écrire sous cet arbre car, disait-il : «C?est mon bain de jouvence et je n?y suis plus que inspiré.» Le hic de l?histoire est que la plupart de ces jeunes ont quitté la ville et, si ce n?est pas outre mer, sont allés dans d?autres régions du pays. La jeune dame parlait beaucoup de cet éminent enseignant pour qui, dit-elle, la commune aurait, au moins, rendu hommage en laissant l?arbre comme modèle d?inspiration pour d?éventuels artistes avérés. M?interrogeant sur le propriétaire du kiosque, je répondis que c?était un ancien moudjahid, la femme acquiesça d?un sourire large qui voulait tout dire. Cela se passait dans les années soixante et le sapin avait plus d?une cinquantaine d?années. Quand on se remémore ces belles années de twist dit-on, on est au moins emporté par le bonheur d?avoir assisté à l?une des plus belles époques qu?a vécue une population déchirée pourtant par les séquelles d?une guerre de libération malmenée par une extrême pauvreté mais optimiste pour des jours meilleurs, car animée d?une foi intense en ses capacités et en son amour pour ce pays auquel ils ont versé tant de larmes. La ville a perdu de son aura, la population de sa gaieté et les portes qui étaient toujours ouvertes signalant la bienvenue sont barricadées puissamment comme si tous ceux qui s?en approchaient étaient porteurs d?un virus malveillant. La jeune dame me remercia vivement après avoir sifflé une limonade que je lui offrait puis elle est partie par le premier taxi ne laissant derrière elle que la déception d?avoir trouvé tout ce branle-bas. C?est par elle que j?ai su que Magani Mohamed était un membre de la clique du sapin du philosophe.