Dérobade n Les Algériens n'auront droit pendant presque dix ans qu'aux pitreries des comiques égyptiens, aux danses du ventre de Samia Gamal, à des histoires d'amour inextricables... Indépendamment des films français qui faisaient recettes dans les salles et qui étaient beaucoup plus destinés aux Européens et à une petite élite musulmane, qui comptait pour du beurre, ce seront les films égyptiens qui draineront la masse des indigènes dans les salles sombres. Une entreprise dirigée par des juifs «Les films ?» avait signé, en fait, un contrat d'exclusivité avec les studios cairotes pour la diffusion et la commercialisation de films arabes, avec la bénédiction des autorités coloniales. Dans ce contrat, les juifs qui opéraient en qualité de distributeurs et de censeurs occultes, étaient chargés du sous-titrage en français et surtout du choix des sujets. De 1948 à 1956, les salles de cinéma spécialisées dans la projection de ce genre de produits des petites infrastructures de quartier à majorité musulmane, ne proposaient que des navets sans conséquence. Pas de politique, pas de sujet qui donnerait des idées subversives aux spectateurs, pas même une allusion sur l'Egypte des officiers ni sur Naguib ni sur Nasser et encore moins sur le conflit palestinien. Les productions destinées aux musulmans étaient en général construites autour d'histoires très simples, émaillées de danses lascives et de tours de chant à répétition, le tout dans une ambiance festive. Les Algériens auront droit pendant presque dix ans aux pitreries de choukoukou, de Ismaïl Yacine et de Mohamed Naboulsi, aux danses du ventre de Samia Gamal et de Tahia Carioca, à des histoires d'amour qui se terminent autour d'une chanson. Les premiers rôles étaient toujours pour les mêmes actrices. Si ce n'était pas Faten Hamama, c'était Meriem Fekhredine ; et si ce n'était ni l'une ni l'autre, c'était Houda Soltane ou Asmahane. Quant aux premiers rôles du côté des messieurs, ils étaient campés neuf fois sur dix par un chanteur à la mode, un chanteur qui monte comme Abdelaziz Mahmoud, Farid El-Atrache et surtout ‘'El Andalib El-Asmar'' Abdelhalim Hafed. Et si le réalisateur égyptien se permettait de faire une petite digression pour parler de la misère du peuple du Nil, les juifs, eux, étaient là, à Alger, pour couper aux ciseaux le morceau de pellicule «infamant». Bref, le produit était entre de «bonnes mains» : pas de films à thème, pas de critiques qui donneraient à réfléchir et qui pourraient même donner des idées. Il fallait occuper les esprits des indigènes par des chants, des danses, de la comédie et du rêve plein de rêves. Les studios égyptiens étaient devenus des usines à stars, des rampes de lancement pour des refrains que la génération des années 50 a fredonnés 10 ans durant. Bref, ces studios ont anesthésié le peuple pour qu'il ne se rende pas compte qu'il était nu.