Jamais le suicide n'a atteint de telles proportions dans notre pays. A tel point qu'il est devenu usuel de lire dans les colonnes des journaux les maigres entrefilets qui rapportent la mort par pendaison d'un jeune homme ou d'une jeune fille. La corde est le moyen le plus utilisé pour passer ad patres. Mais le caractère tragique du suicide, sa banalisation, c'est quand ce jeune adolescent s'est pendu parce qu'il venait d'échouer à un examen ! Terrible tragédie d'une génération qui s'est tellement familiarisée avec la mort au point d'accomplir l'irréparable avec une aisance déconcertante. Sans vouloir nous substituer aux psychologues certainement plus armés pour expliquer ce phénomène, il convient toutefois de se poser la question de savoir si les années noires qu'a subies la population n'ont pas «banalisé» la mort au point qu'elle est devenue une échappatoire usuelle, une solution ultime. En outre, la dégradation drastique des conditions de vie, l'appauvrissement soudain de larges pans de la population avec en prime un chômage endémique pour la jeunesse diplômée ou pas, le sempiternel problème du logement et aussi cette drogue qui s'est généralisée au point d'être cédée dans les cages d'escalier, voilà donc réunis tous les ingrédients pour cette immense lassitude qui gagne notre jeunesse astreinte, depuis quelques années, à prendre le large sur des embarcations de fortune et cette fuite désespérée ; c'est aussi une forme de suicide. Puisqu'il n'y a plus rien «à gratter» ici, hormis un poste de préemploi à 3 000 DA mensuels pour les plus chanceux et les effluves des paradis artificiels pour le reste de la troupe. La paupérisation de l'écrasante majorité se traduit aussi et hélas de plus en plus fréquemment par le geste fatal : c'est dans les tréfonds de l'Algérie qu'un père de famille s'est donné la mort parce qu'il ne pouvait plus subvenir aux besoins de ses enfants. Bien sûr, il y aura toujours des exégètes pour condamner ce geste répréhensible par notre religion qui recommande de s'en remettre au Créateur quand toutes les portes se ferment. Mais pour en arriver là, c'est que le malheureux quidam a épuisé tous les recours. Soyons naïfs et espérons un instant que les pouvoirs publics, toutes hiérarchies confondues, daignent lancer de grands projets concernant cette jeunesse qui se morfond dans l'arrière-pays, loin des heureux élus qui sillonnent les rivages sur les jet-skis et des fast foods où la pizza coûte deux jours de salaire d'un smicard. La désespérance serait-elle le nouveau mode d'emploi qui régit l'Algérien ? Il fut un temps où le suicide ne concernait que quelques ingénues accidentellement grosses d'une amourette de passage et tout au plus, quelques candidats malheureux au baccalauréat : la mort a évolué et elle concerne les petits collégiens et les pères de famille. Cette évolution-là est tragique. Enfin, de quoi je me mêle ? Khelli l'bir beghtah.