Tu vois, le monsieur qui attend là est ton père... Nous sommes en 1987, dans un supermarché d'Aix-en-Provence. Une femme encore très jeune, vingt-cinq ans tout au plus, désigne du doigt à une fillette un homme, jeune lui. aussi, en train de faire la queue devant une des caisses. L'enfant le dévisage attentivement. — Alors, il habite près de chez nous ? — Oui... — Et il n'est jamais venu me voir ? — Non. Il ne t'a même pas reconnue à ta naissance. La fillette termine son examen et conclut : — C'est mon père, mais ce n'est pas mon papa. Allons-nous-en, maman... C'est ainsi qu'à l'âge de sept ans, Isabelle a vu, pour la première et dernière fois, son père biologique. Mais ainsi qu'elle l'a dit, pour elle, ce n'est pas son père véritable. Celui qui occupe cette place, c'est son beau-père, Germain, que sa mère Hélène a épousé en 1981, alors qu'elle avait un an. Elle savait bien qu'elle n'était pas née de lui, Hélène le lui a dit très tôt, mais elle n'y a pas attaché d'importance... Maintenant, c'est fait, elle a vu l'auteur de ses jours et cela ne lui a causé aucune impression. La vie peut poursuivre son cours, un cours qu'Isabelle imagine simple et tranquille... Le destin en a malheureusement décidé autrement. C'est vrai qu'avec son beau-père son entente est parfaite. Il est cuisinier, il travaille dans un restaurant et il s'est spécialisé dans les gâteaux. Avoir un père qui fait la cuisine, et des gâteaux par-dessus le marché, c'est une chose dont Isabelle est très fière et qui rend jaloux tous ses petits camarades. Pour le reste, Germain est un grand gaillard au cour tendre qui cajole l'enfant. Elle l'a toujours appelé «papa» et ce n'est pas la rencontre du supermarché qui va y changer quelque chose. Avec sa mère Hélène, c'est la même entente. Cette dernière est une femme simple, qui travaille comme serveuse dans l'établissement de Germain, C'est là, d'ailleurs, qu'ils se sont rencontrés. Tous les trois habitent en location un mas assez élégant dans un village à une dizaine de kilomètres d'Aix-en-Provence. Les années s'écoulent et l'apparition de son père n'est plus pour Isabelle qu'un souvenir oublié. A l'école, elle est une élève moyenne. C'est que les études ne sont pas ce qui compte le plus pour elle. Elle adore faire du cheval et voudrait devenir professeur d'équitation. En vacances, elle fait des randonnées ; tous les week-ends elle va dans un manège pour parfaire sa technique... 1992 : Isabelle a douze ans et cette année s'annonce sous les meilleurs auspices. La situation matérielle du foyer est en passe de s'améliorer notablement. Hélène s'est acheté une voiture et une licence de taxi ; quant à Germain, avec un peu d'argent qu'il a mis de côté et en empruntant le reste, il va ouvrir un restaurant. Isabelle est tout heureuse d'apprendre ces deux nouvelles, mais il y a, quand même, quelque chose qu'elle trouve curieux. Elle s'en ouvre à sa mère. — Si papa ouvre un restaurant, pourquoi est-ce que tu quittes ton travail de serveuse ? Pourquoi est-ce que tu ne t'occupes pas du restaurant avec lui ? Hélène a l'air à la fois gênée et soulagée de la question... — Tu fais bien de me dire cela. Il y a longtemps que je voulais t'en parler... Isabelle est devenue toute pâle. — Parler de quoi, maman ? — Je ne vais pas m'occuper du restaurant avec Germain, parce que nous allons... nous séparer. — Vous séparer ! — Divorcer... C'est d'ailleurs pour cela que j'ai pris un taxi. Comme cela, nous allons, pouvoir gagner notre vie tous les deux, lui de son côté, moi du mien. — Mais maman, vous vous entendez bien ! Vous êtes très heureux... (A suivre...)