Spectacle - Lamia Safieddine, une chorégraphe libanaise, a présenté, hier, sur les planches du théâtre national Mahieddine -Bachtarzi une pièce chorégraphique aussi bien belle qu'inattendue. La pièce présentée dans le cadre de la 5e édition du festival international de la danse contemporaine, est originale, voire particulière dans le sens où elle est puisée dans la mythologie. C'est ainsi que, le temps d'une performance, Lamia Safieddine revisite dans une forme esthétique de haute facture, avec autant de passion que d'entrain, de sensibilité que d'imagination, un mythe atypique mais qui reste d'actualité. Ce mythe est répandu dans les cultures et croyances mésopotamiennes et de l'Asie mineure de l'Antiquité. La pièce, qui a été époustouflante de beauté et de grâce, a pour titre «Lilith» - le nom de ce personnage féminin est appelé en arabe Leïla. Elle se construit et s'organise autour de la femme. «J'explore en effet le mythe de Lilith dont l'origine est mésopotamienne», explique Lamia Safieddine, et d'abonder : «Je m'emploie à «recréer» sur scène le personnage de Lilith, le courage et l'obstination de la femme face aux difficultés, à la violence qu'elle subit, à aller de l'avant, à surmonter tout cela.» Lorsque Lamia Safieddine joue sur scène de son corps, l'exprime dans toute sa gestuelle et mouvements, elle bouge, elle va et vient. Elle est en pleine action. Son corps en mouvement continu, s'agitant sans relâche, avec beaucoup d'expressivité, paraît visiblement toujours en train de lutter, de se débattre. Elle tombe, puis elle se relève. «Je me relève à chaque fois, non pas parce que je suis maligne ou forte, mais parce que je dois me relever. Je dois continuer.» C'est dans cet état que la chorégraphie prend forme et évolue. Tout cela se fait dans des attitudes d'inspiration mélancolique, dans des atmosphères feutrées aux couleurs vives et la musique évoquant l'évènement et le tourment. La pièce met en valeur le personnage de la femme non en tant que sujet passif et résigné, mais plutôt comme quelqu'un de fort d'esprit et de caractère, quelqu'un de déterminé, de combattant. A travers le personnage de Lilith, Lamia Safieddine met l'accent sur le combat de la femme à travers le temps. D'où la portée universelle. En effet, Lilith est un personnage qui transcende le temps et l'espace. Il est à chaque fois ancré dans l'actualité. Il renvoie au vécu de la femme arabe, c'est-à-dire son combat permanent pour sa reconnaissance et son émancipation. Puisque Lilith raconte l'histoire de cette femme qui refuse de baisser les bras et de se résoudre à son sort, celui d'une femme résignée et soumise. Selon le mythe, Dieu créa au départ Adam (Adan) et Lilith (Leïla en arabe), avant de la remplacer par Hawa (Eve). Il créa Adam et Leïla de la même terre, donc égaux. Lilith était l'égale d'Adam, donc de l'homme. Elle assurait son côté masculin et n'était pas inférieure à ce dernier. Mais comme Adam refusait d'assumer, ne serait-ce qu'un tout petit peu, sa partie féminine, Lilith le quitte. Du coup, elle est damnée, déchue et devient symbole d'une féminité à connotation péjorative (mal, obscurité...). Et à la place, Dieu créa Hawa, à partir de lui, juste pour le servir, elle se soumet à lui. Elle a été créée de sa côte, donc elle n'est pas indépendante. Elle dépend de lui. - «Lilith», la chorégraphie, se veut un hommage à la femme et à son engagement pour son affirmation dans un monde où son partenaire, l'homme essaye d'imposer sa suprématie. «Ce mythe s'attaque à nombre d'idées reçues qui réduisent l'image de la femme orientale et maghrébine à la sensualité de Shahrazade ou à la danseuse du ventre», explique Lamia Safieddine. La chorégraphe privilégie dans son jeu la gestuelle de la femme. Elle la chorégraphie dans le sens où elle lui donne de l'ampleur, car elle traduit à elle seule la féminité. «Je chorégraphie notre gestuelle quotidienne, cette gestuelle de la femme, qui renvoie à elle, la signifie, car chaque geste porte en soi un sens, il est l'expression de sentiment, son sentiment à elle, son caractère et sa personnalité et son attitude. Chaque geste est l'illustration de toutes les possibilités que peut avoir la femme, et moi j'essaie de montrer la femme dans toutes ses possibilités», souligne-t-elle. Selon elle, la femme subit au quotidien de la violence, qu'elle soit verbale ou physique, et en mettant en situation la gestuelle propre à la femme, telle que le mouvement de tête, celui qui illustre la transe, Lamia Safieddine fait sortir toute cette violence qui se trouve en elle. «Avec les danses traditionnelles, telle que le gnawa au Maghreb, on a des solutions avec le corps, avec nos corps de femmes, c'est de sortir ce qu'on subit», assure-t-elle.