Résumé de la 30e partie - Chantal se revoit quittant son luxueux domicile du boulevard Suchet pour rejoindre le modeste «Hôtel des Etudiants»... C'est toujours un grand plaisir pour nous de revoir nos anciens clients... Au même étage que Mademoiselle, au n° 8 exactement, nous avons une danseuse. Chantal ne disait rien. Quand la porte de la petite chambre mansardée se fut refermée sur les bavardages de Patte-à-ressort ; elle se laissa tomber sur le lit et pleura. Tous ses actes depuis le moment où le Dr Petit l'avait aidée à descendre l'escalier de la clinique du professeur Chardin jusqu'à cette minute n'avaient été qu'une succession de réflexes. Au moment où elle se retrouvait seule, dans son ancienne chambre d'hôtel dont elle avait tant de mal à acquitter le prix quelques années plus tôt, le ressort de la machine se brisait. Tout ce qu'elle avait fait ou entrepris depuis le jour où elle était entrée chez «Marcelle et Arnaud» se réduisait à néant ! Elle revenait à son point de départ : l'«Hôtel des Etudiants». L'idée de suicide était en elle. Si vraiment elle était atteinte par le mal inexorable, il ne lui restait plus qu'une ressource : se supprimer. Elle rendrait service à elle-même et à la société. La crainte d'un au-delà ne la tourmentait pas. Depuis la grande pitié de son enfance, elle ne désirait qu'une chose : vivre dans le luxe. Pour elle, le seul intérêt de l'existence était d'acquérir le bien-être. Au moment précis où elle avait la satisfaction d'atteindre son idéal en pleine jeunesse, tout s'effondrait... Les médecins lui avaient répété plusieurs fois qu'elle n'était pas encore contagieuse ; cela voulait dire qu'elle le serait un jour. Chantal, comme des millions de gens, avait toujours entendu dire que la lèpre était incurable. Le seul mot «lèpre», prononcé mentalement, la faisait frémir d'horreur. Elle se souvenait d'avoir vu, chez la vieille dame où l'Assistance publique l'avait placée, une gravure représentant un roi de France visitant les lépreux : ceux-ci étaient dessinés avec des nez rongés par la maladie, des oreilles gonflées, des membres atrophiés ; tous ces déchets humains cachaient, comme ils le pouvaient, leur laideur impitoyable sous de longues robes de bure. Parce qu'elle était souverainement belle et n'aimait que le beau, Il n'était pas possible qu'elle eût contracté cette maladie monstrueuse qui, un jour, peut-être très prochain, la ferait ressembler aux personnes de la gravure. Oui, Iru l'avait griffée, mais ce n'était pas la première fois depuis neuf années. Elle en arrivait presque à regretter le geste abominable qui lui avait fait tuer son vieux compagnon de misère et de splendeur. La nuit était complètement tombée quand elle quitta sa chambre et sortit de l'hôtel, après avoir accroché sa clef au tableau du bureau. (A suivre...)