Superstition ■ Une malédiction pèse sur le fauteuil 32 de l'Académie française. Cet énigmatique mauvais sort, vérifié par de nombreux historiens depuis l'origine, a été le sujet, en 1910, d'un roman fameux : Le Fauteuil hanté. Son auteur, le feuilletoniste Gaston Leroux, avait résolu l'énigme et en avait dissimulé les clefs dans son manuscrit. Le destin voulut que Maurice Rheims, titulaire du fauteuil 32 de 1976 à 2003, devienne l'expert de la succession Leroux. Il reçut, pour rénumération de son travail, le mystérieux manuscrit. Au moment de mourir, il transmit à sa fille le précieux document pour l'aider à exécuter sa dernière volonté : que jamais personne ne s'assoie sur son fauteuil. Si elle parvenait à accomplir cette mission, malgré le déchaînement des ambitions et les sombres tractations des candidats, son père pourrait goûter à la vraie immortalité, celle des fantômes. Dans son treizième roman, Le Fantôme du fauteuil 32, Nathalie Rheims tourne une page. C'est avec une légèreté, un humour, une ironie mêlés de tendresse qu'elle fait revivre tous ceux qui entouraient son père afin qu'il n'attende plus que son éloge soit enfin prononcé. Dans la réalité de l'Académie française : Le fauteuil de Maurice Rheims est resté vide pendant plusieurs années. Robbe-Grillet ne l'a pas occupé et Weyergans a tardé à s'y asseoir. Maurice Rheims peut enfin jouir de son immortalité et prendre de longues vacances dans son paradis corse. Mais un funeste destin s'est acharné contre lui. Cela faisait huit ans qu'il était enfermé sous la Coupole, où il attendait, en vain, d'être relevé. Pour être élargi, il suffisait que son successeur fît son éloge et vînt s'asseoir dans son fauteuil. Seulement voilà : personne ne se présentait et le commissaire-priseur commençait à prendre froid. L'auteur de La Vie étrange des objets se demandait si son fauteuil, le 32e, ne serait pas maudit. Son prédécesseur, Robert Aron, ne mourut-il pas la veille de son intronisation ? Celui qui aurait dû le remplacer s'était bien moqué de lui, et de la Compagnie. Elu en 2004, Alain Robbe-Grillet n'avait, en effet, jamais prononcé son discours de réception et il avait refusé de porter l'habit vert, qu'il jugeait peu seyant, lui préférant le col roulé. Il est mort d'une crise cardiaque, en 2008, obligeant du même coup le pauvre Maurice Rheims à guetter un nouvel impétrant. Et ce fut, en 2009, François Weyergans. On se souvient de la manière dont l'auteur du Pitre prit d'assaut le quai de Conti : avec un somptueux stylo à plume offert par Jean-Luc Delarue, célèbre tireur de lignes, l'écrivain adressa de longues lettres flagorneuses à tous les académiciens. Le procédé inédit fonctionna, et Weyergans fut élu au 32e fauteuil.