«A quelque chose malheur est bon», dit le proverbe ; il faut savoir tirer profit de tout, disent les Algériens, même de l'adversité. Cette conception optimiste de la vie procède de la croyance que tout ce qui vient est bon à prendre : on apprécie les bonnes choses, mais on doit aussi apprécier les mauvaises, ne serait-ce qu'en tirant les leçons des expériences malheureuses. Balak tensa (attention, n'oublie pas !) dit-on. Un proverbe très répandu traduit cette philosophie : «Thennit men hakk al r'as, ya lfertas !» (toi qui as perdu tes cheveux, tu n'auras plus à te gratter la tête !). Perdre ses cheveux n'est pas amusant, mais au moins on se sera débarrassé d'une tâche désagréable. Aujourd'hui, on dit au même chauve : «Au moins, tu économiseras l'argent du coiffeur !» Une histoire kabyle illustre, à sa manière, cette vérité. On rapporte qu'une vieille femme barattait chaque jour une grande quantité de beurre, de babeurre et de petit-lait. C'est à peine si elle nourrissait sa famille et elle n'en donnait jamais en aumône. Pas question de se priver des sous qu'elle tirait de son produit. «Je ne veux pas nourrir les fainéants, disait-elle. Ceux qui veulent se régaler n'ont qu?à se lever de bonne heure, traire les bêtes et se mettre au travail !» la vieille tirait profit de la moindre chose... Un jour, alors qu'elle donnait un mouvement de va-et-vient à sa baratte, celle-ci se renversa et le lait se répandit sur les pierres du foyer. Elle pensa d'abord à se lamenter puis, voyant que le lait était perdu et qu?elle ne pouvait pas le récupérer, elle pensa quand même tirer ne serait-ce qu'un petit profit de son malheur. «Heu, je donne ce lait renversé en aumône, à Dieu. Dieu, compte-le moi au nombre des bonnes actions !», dit-elle. Ce n'est pas un profit matériel qu'elle tirait là, mais le bénéfice spirituel d'une bonne action. Et un bénéfice, qu'il soit spirituel ou matériel, est toujours bon à prendre !