Vivre dans un 18 m2 : Colère Seuls les enfants sautent de joie à notre arrivée à Diar El-Kaf. La plupart des habitants nous boudent presque. Certains jeunes nous ordonnent de quitter les lieux, d?autres refusent de parler. La peur, la colère et le ras-le-bol se dessinent sur tous les visages et voilent tous les regards hagards et abattus qui nous poursuivent. «Pourquoi êtes-vous là?», «N?écrivez rien. Ne prenez pas de photos», lancent des voix meurtries. La blessante question sur toutes les lèvres : «Pourquoi parler et pourquoi écrire puisque nous vivons comme des chiens depuis 50 ans ? Vous n?allez rien changer.» Difficile de convaincre et de rassurer. L?envie de décrire la misère et la précarité dans lesquelles survivent ces citoyens est cependant plus forte. Certains acceptent, d?autres se rétractent, hésitants. Il faut dire que la répression de la manifestation qu?a organisée la population de la Carrière, il y a quelques jours, en bloquant la route de Triolet qui mène vers Bouzaréah et Bab El-Oued pour protester contre son relogement dans des chalets à Bordj El-Kiffan, l?a acculée. Personne n?a plus la force de parler ni l?espoir de jours meilleurs. De nombreuses familles ont été sommées de quitter leur maison. «Les autorités locales ont utilisé la force publique, les menaces et les avertissements. Nous sommes seuls !» «Je vous déconseille d?aller à la Carrière, surtout que vous êtes une femme. Vous aurez des problèmes !», nous lance un jeune habitant Bab El-Oued. Effroyable découverte. Diar El-Kaf, c?est vivre dans 18 m2. Une existence qui se résume dans ces «cellules» qui incitent au vagabondage, qui exhalent la misère, la crainte, la pauvreté, la violence et la délinquance. C?est aussi dormir chaque soir, à contrec?ur, chez un ami ou un oncle, pour ne pas frôler le corps de sa jeune s?ur ou de sa mère ! C?est également passer sa journée dehors pour fuir la promiscuité et le vide. C?est se droguer en tentant de vaincre cet ennui torturant, ces conditions de mal vie qui assassinent toute ambition et tout épanouissement et qui enfantent des drogués, des chômeurs mais aussi, et c?est le défi lancé au sort, des juristes, des économistes, des licenciés et des avocats.