Une pauvre petite fille avait perdu ses parents, elle était seule au monde comme un agnelet. Elevée dans une famille fort méchante, son seul ami était Chawzi, le chien, auquel elle donnait de temps en temps quelques morceaux de pain. Du matin jusqu'au soir, la pauvre petite devait moudre le blé pour sa marâtre à l'aide d'une meule ; un instant de repos suffisait pour qu'un bâton lui rappelât ses obligations. Le soir, elle avait les doigts engourdis comme des pièces de bois, mais qui s'en souciait ? La moindre bouchée octroyée par charité aux orphelins leur coûte la plupart du temps bien du sang et bien des larmes... Seul le Bon Dieu, là-haut, entend leurs gémissements, Lui Seul peut compter les larmes qui coulent sur leurs joues... Un jour, alors que notre chétive enfant ? chagrinée de ce que la fermière l'eût laissée ce matin-là à jeun ? faisait, une fois de plus, tourner la lourde meule, un vagabond borgne, boiteux, en haillons, se présenta devant la maison. Or ce n'était pas un vrai mendiant. C'était un célèbre sage venu de la ville, qui avait pris cette apparence pour ne pas se faire reconnaître. Le boiteux s'assit sur le seuil de la maison, jeta un regard sur le dur labeur de l'orpheline et prit dans sa besace un morceau de pain qu'il lui mit dans la bouche en disant : «Le déjeuner n'est pas pour tout de suite, mange un peu de pain, reprends tes forces !» L'orpheline se mit à mâcher la petite croûte de pain sec, qui lui parut plus douce qu'une brioche. Elle sentit ses bras prendre de plus en plus de vigueur. Le vagabond ajouta : «Tu dois avoir les bras bien fatigués, ma pauvre enfant, à force de tourner cette lourde pierre !» La petite jeta au vieillard un regard méfiant, comme pour s'assurer de l'objet de sa question : était-il sérieux, se moquait-il d'elle ? Mais quand elle vit que le visage du vieillard était sérieux et bienveillant, elle lui répondit : «Qui donc s'intéresse aux bras de l'orpheline ? J'ai les doigts en sang et le dos labouré de coups de bâton quand je n'arrive pas à faire tout ce que veut la fermière !» (à suivre...)