Epopée n Le blockbuster est né dans une mer salée... teintée de sang. Son premier acte ? Assassiner arbitrairement, brutalement, une jeune femme à grands coups de dents d'un requin en plastique. Cette violence est aujourd'hui toujours ancrée dans le genre, moins pour procurer des frissons aux spectateurs que pour lui servir, depuis le 11 Septembre, de miroir déformant. Une seule différence demeure : la caméra ne filme plus les victimes humaines, mais des immeubles en train de s'effondrer, un par un, comme des dominos. En 1975, Steven Spielberg et ses «Dents de la mer» sont encore loin de ce cinéma de fin du monde. Ce long métrage -son troisième- n'est encore qu'une série B bricolée du côté de Martha's Vineyard, non loin de Cap Cod dans le Massachusetts. Dès sa sortie, le 20 juin, ce thriller maritime pulvérise, contre toute attente, tous les records et engrange près de 470 millions de dollars (soit 2,2 milliards aujourd'hui). Ce succès sans précédent signe l'acte de naissance du blockbuster, terme emprunté à l'aviation militaire britannique et signifiant littéralement «ce qui fait exploser un pâté de maison». Le mot est lancé, une mode s'installe. Chaque été les studios s'affrontent pour vendre des films-événements aux budgets immenses, diffusables aux quatre coins du monde. Pendant cinq ans, le blockbuster demeure malgré tout un objet filmique non identifiable. Dans la lignée des «Dents de la mer», il conserve un aspect bricolé. Le premier Star Wars de George Lucas en est un bel exemple en 1977. Rapidement, il oscille entre démesure (Superman en 1978) et kitsch (1941 à 1979). En 1980, la mue s'achève. Le 21 mai sort «L'Empire contre-attaque». La politique du secret -que l'on retrouve aujourd'hui dans les productions de J.J. Abrams- entoure déjà ce deuxième volet de la saga intergalactique. Là aussi, le film bat tous les records. Mais la véritable rupture se situe quelques semaines plus tard, le 2 juillet. Les ZAZ (David Zucker, Jim Abrahams et Jerry Zucker, déjà réalisateurs de «Hamburger Film Sandwich» en 1977) présentent à cette date «Y a-t-il un pilote dans l'avion ?», pastiche des films catastrophes. Depuis «l'Aventure du Poséidon» (1972), ces ancêtres du blockbuster mêlent stars et effets spéciaux. Le succès de «Y a-t-il un pilote dans l'avion ?» marque, plus que «Star Wars épisode V», la reconnaissance du blockbuster en tant que genre à part entière, son entrée dans l'imaginaire collectif. Ses codes seront régulièrement mis à mal, notamment dans «Last Action Hero» (1993). Dans les années 1980, une nouvelle génération d'auteurs de blockbusters -Ridley Scott (Blade Runner, Aliens), James Cameron (Abyss)- s'engouffrent dans la brèche ouverte par Lucas et Spielberg. S'en suit la révolution des effets numériques, en l'espace de deux films : «Terminator 2, Le Jugement dernier» (1991) et «Jurassic Park (1993)». Les années 2000 et 2010 poursuivent cette tendance. A partir du 11 Septembre, le cinéma hollywoodien se plonge plus que jamais dans des récits de super héros et d'apocalypses. Avec une volonté : confronter l'individu à sa mort proche et brutale. Celle-ci s'incarne, entre autres, par la destruction de monuments iconiques (Tour Eiffel, Golden Bridge, Taj Mahal) et par la disparition des acteurs dans un torrent d'effets numériques. Les récits perdent progressivement en inventi-vité et gagnent en lourdeur. A 40 ans, que peut encore accomplir le blockbuster ? Alors que le risque d'implosion se fait de plus en plus menaçant -près de 37 films Marvel et DC sont prévus entre 2015 et 2022-, le genre a prouvé en 2015 qu'il n'était pas complètement à court d'idées et encore moins effrayé par le renouvellement. Le dernier exemple en date ? Mad Max Fury Road de George Miller, où le vieux héros fatigué des blockbusters d'antan décide de céder sa place à une femme manchote au crâne recouvert de suie.