D'ici à dix ans, la Chine aura dépassé les Etats-Unis et l'Union européenne comme première puissance économique de la planète. L'irruption du pays le plus peuplé du monde sur la scène économique mondiale peut enrichir celle-ci, ou la déstabiliser. La question chinoise est le test décisif de la mondialisation. La Chine est en concurrence à la fois avec les pays les plus pauvres (le Bangladesh pour l'industrie textile) en raison de sa main-d'?uvre à très bas coût, et avec les plus riches (l'informatique aux Etats-Unis) vu ses compétences technologiques. Chaque époque a droit à sa grande peur venue d'Extrême-Orient. Dans les années 50-60, c'était le «péril jaune», ? «Sept cents millions de Chinois, et moi et moi et moi». Dans les années 80, «l'étreinte du Samouraï» : le Japon croquait des gratte-ciel à New York, des studios à Hollywood, inondait le marché automobile... Aujourd'hui, c'est «le tigre dopé aux stéroïdes», pour reprendre une expression de Charlene Barshevsky, l'ancienne représentante au Commerce sous la présidence de Bill Clinton. La Chine s'est réveillée et elle envahit les rayons des grands magasins américains de jouets, vêtements, télés, réfrigérateurs, vaisselle, appareils photo, lampes... Elle rachète même des entreprises, devient créancière de l'Etat fédéral américain et menace de se muer en superpuissance. A observer le développement chinois, de nombreux économistes commencent à perdre leur latin. Jusque-là, ils s'en tenaient à ce qu'on apprend dans les manuels d'économie : le libre commerce est bénéfique pour tout le monde. Comme l'a théorisé le grand économiste David Ricardo au début du XIXe siècle, si chacun se spécialise là où il est le meilleur, tout le monde en profitera, grâce au commerce. Avec ses très bas salaires, la Chine rafle certes des marchés dans le textile ou l'électronique, ce qui détruit des millions d'emplois dans ces secteurs en Occident ; mais en se développant rapidement, elle participe à la croissance des pays industriels, qui peuvent créer des emplois plus qualifiés. Ce raisonnement, considéré comme l'un des plus solides de la théorie économique, se fissure. Car la Chine ? et l'Inde ? créent aussi des emplois dans les domaines où Américains et Européens pouvaient prétendre avoir un «avantage comparatif» : la programmation informatique, l'ingénierie, la recherche... Dans un article publié cet été dans le Journal of Economic Perspectives, le très respecté prix Nobel d'économie Paul Samuelson, 89 ans, se demandait si le développement de la Chine bénéficierait vraiment aux Etats-Unis. Car elle est, comme l'Inde, à la fois une nation à bas salaires et à haute technologie. Cela dit, les Etats-Unis comptaient sur la baisse du dollar pour résoudre leur déficit extérieur : elle devait favoriser les exportateurs américains et renchérir les prix des produits importés. Mais Pékin a lié sa monnaie au dollar, ce qui rend difficile l'ajustement désiré et envenime les relations entre les deux pays. «Le développement de la Chine ne profite pas aux Etats-Unis : il leur coûte très cher, parce que la Chine manipule sa monnaie», accuse Peter Morici, professeur à l'université du Maryland, qui a calculé, dans une récente étude, que cette «manipulation» coûterait à l'économie américaine 500 milliards de dollars par an. «Cela excède largement les bénéfices tirés du libre commerce», conclut-il.