Le 10 avril 1990, à 5 heures du matin, par un temps épouvantable, les pompiers arrivent, sirène hurlante, à S., près de Bruxelles. Ils découvrent la carcasse d'une Opel Oméga qui achève de brûler. Sur le siège du passager, Jeanne S., quarante-neuf ans, gît, calcinée. Le mari, Paul, cinquante-deux ans, est indemne. C'est lui qui a prévenu les pompiers. Paul est un jeune recteur. Il explique, en larmes, qu'il avait l'intention d'acheter une Opel Oméga et que, pour la tester, il avait loué une voiture du même type. Dans la soirée, il a parcouru quelques dizaines de kilomètres avec son épouse. Puis ils sont rentrés chez eux et ils ont regardé une cassette vidéo. Vers 4 heures du matin, comme ils n'arrivaient pas à dormir, ils sont sortis pour un nouvel essai. Il poursuit : «Après avoir roulé une heure, nous avons décidé de rentrer chez nous. J'étais au volant. A allure modérée, je me suis engagé dans l'avenue. Je jouais avec l'allume-cigares. Soudain, dans la lumière des phares, j'ai vu une brouette au milieu de la chaussée. J'ai donné un violent coup de volant à droite et l'Opel a embouti un tas de briques.» Les pompiers et les gendarmes voient effectivement un tas de briques près d'une villa en construction. Le recteur continue : «En une fraction de seconde, des flammes ont jailli et l'habitacle de la voiture s'est embrasé.» Et il poursuit son récit en précisant que, par une malchance épouvantable, il avait acheté la veille sept litres de solvants divers pour des travaux de peinture : térébenthine, acétone, white spirit, qui étaient restés dans la voiture. L'allume-cigares brûlant est tombé dessus. Toujours selon sa version, il a été projeté en dehors du véhicule et a essayé de sauver son épouse. Il n'a pu que se brûler aux mains. Il a renoncé et s'est mis à courir jusque chez lui, à deux cents mètres, pour appeler les secours... Un premier expert en accidents est nommé. Il conclut qu'il y a de sérieux doutes et une information pour homicide involontaire est ordonnée. Les enquêteurs découvrent bien vite des faits troublants. D'abord, cela fait beaucoup de coïncidences : l'insomnie, les sept litres de solvants, la brouette et le tas de briques. Et pourquoi Paul jouait-il avec un allume-cigares, alors que ni lui ni sa femme n'avaient jamais fumé ? Mais c'est l'autopsie qui fournit l'élément le plus grave : Jeanne n'a pas de fumée dans les poumons. Cela signifie qu'elle avait cessé de respirer avant l'accident. Le 19 avril, le recteur demande à être entendu par le juge qui instruit l'affaire. Le juge se trouve être un ancien élève de l'université dont Paul est le recteur. Ce dernier ressort libre de la confrontation. A l'université elle-même, l'affaire fait, bien sûr, le plus grand bruit. Et la plupart défendent le recteur, dont la personnalité a toujours suscité l'admiration générale. D'origine modeste, Paul a obtenu, à force de travail, son diplôme d'ingénieur. En 1967, il a passé son doctorat en sciences appliquées et, peu après, il a été chargé d'enseignement à l'université. C'est en 1964 qu'il a rencontré Jeanne. Avec son épouse, elle-même titulaire d'un cours à l'université, il semblait former un couple irréprochable. Ils avaient trois enfants. D'autres pensent, au contraire, que le couple ne s'entendait pas si bien que cela, que le recteur est coupable mais qu'en raison de sa position sociale, la justice veut étouffer l'affaire. Ce n'est pas exact. Le vendredi 3 mai 1990, le juge délivre un mandat d'arrêt pour assassinat. A 4 heures du matin, Paul est arrêté chez lui et conduit au palais de justice. Là, il clame son innocence : «Je n'ai pas tué mon épouse. C'est une erreur judiciaire, mais je reste confiant dans la justice.» Le 16 janvier 1992, une reconstitution est pratiquée avec une Opel du même type et un tas de briques identique... Le recteur avait affirmé rouler à 70 kilomètres à l'heure lorsqu'il a percuté l'obstacle, voulant éviter la brouette. (à suivre...)