Sachant dorénavant vers où il guiderait ses pas, le cavalier et son cheval galopèrent plus qu?ils ne marchèrent et volèrent plus qu?ils ne galopèrent. Après quelques jours de route, ils arrivèrent enfin au royaume de Chine. Sur la place du premier village, ils virent un crieur public et entendirent de loin les paroles suivantes : «Oyez, oyez bonnes gens ! Je vous fais savoir que notre empereur donnera sa fille et la moitié de son empire à celui qui tuera le serpent aux sept têtes qui vit dans ce puits. Ce monstre empêche depuis longtemps les gens de boire et les bêtes de s?abreuver. Et qu?on se le dise...» Badr-Eddine s?approcha d?un vénérable vieillard à longue barbe blanche assis en retrait de la foule qui s?était rassemblée autour du crieur. Le prince le salua puis lui demanda : «Pourquoi les jeunes ne se bousculent-ils pas pour répondre à l?appel du roi ? La princesse n?est donc pas si belle ?» Le vieillard sourit et répondit : «La princesse Mine a les cheveux plus noirs que le jais, sa peau est plus blanche que le lait et ses joues vermeilles sont à nulles autres pareilles.» Le prince reconnut à la description sa bien-aimée et, de plus, il savait maintenant comment la nommer. Il offrit au vieillard une pièce d?or et, du regard, le questionna. Alors, le vieil homme chuchota : «Nos jeunes ne se bousculent pas parce que d?abord la princesse est plongée dans un sommeil profond qui dure depuis longtemps ; ensuite le monstre, qui est dans ce puits, a déjà dévoré plus d?une vingtaine de nos plus hardis guerriers. Il est impossible de combattre en même temps les sept têtes du serpent.» Badr-Eddine remonta sur son cheval d?Eclair et de tonnerre qui lui souffla immédiatement la solution. Le prince acheta et égorgea un veau qu?il découpa aussitôt en gros morceaux ; puis il alluma un grand feu et, près du puits, fit un énorme méchoui. Le monstre est connu pour être friand de la chair de veau. Dès qu?il sentit les effluves de la viande grillée, il sortit et posa l?une de ses têtes sur le bord du puits. Le jeune homme, d?un seul coup de sabre d?argent, la coupa : aussitôt une seconde tête la remplaça sur la margelle et siffla : «Ce n?était que ma première tête !» Badr-Eddine répliqua : «Ce n?était que mon premier coup !» Par six fois, le serpent posa l?une de ses têtes sur la margelle et, par six fois, elle fut tranchée par le sabre d?argent. Enfin, le monstre posa la septième, celle qui crachait le feu ; le prince, rassemblant toutes ses forces, s?écria en la tranchant : «Voilà mon dernier coup !» On vit la grosse tête prendre feu et tout le corps du serpent s?embraser aussitôt. Un grand vent se leva et, en tourbillonnant, éparpilla les cendres du serpent. La ville se réveilla enfin ; les gens s?approchèrent du puits, les femmes remplirent leur cruche ; les enfants se désaltérèrent et les jardins furent arrosés? Quand Badr-Eddine se présenta au palais, le roi lui dit : «J?ai promis ma fille, il est vrai, à celui qui me débarrasserait du monstre ; mais vois-tu, à présent, noble étranger, la princesse est malade ! Si tu arrives à la guérir sans pour autant t?approcher d?elle, alors je te la donne, elle deviendra ta femme devant Dieu et les hommes !» En fait, le roi cherchait des prétextes ; il ne voulait pas marier sa fille à un étranger. Badr-Eddine tira de sa poche une belle datte mielleuse et glissa à l?intérieur la bague de la princesse puis, s?adressant à une servante, lui dit : «Mets dans la bouche de la princesse ce fruit d?Algérie et reviens vite me donner des nouvelles de ta maîtresse !» Badr-Eddine s?assit près de l?empereur de Chine et tous deux attendirent. Ils n?attendirent pas longtemps. Soudain, la grande salle se transforma en volière : les servantes virevoltaient et parlaient toutes en même temps. L?une disait : «Nous avons mis la datte dans la bouche de la princesse?» L?autre reprenait plus fort : «Elle s?est retournée de l?autre côté?» Une troisième cria encore : «Elle s?est levée et a dit : servantes, préparez-moi vite un bain !» La dernière arrivée hurlait de plus belle : «Princesse Mine est guérie, Majesté.» (à suivre...)