La 4e partie Alors qu?on le croyait à proximité de l?Espagne, le «Banel» est poussé par le vent vers les côtes africaines. Une man?uvre brusque casse le gouvernail, le bateau échoue. Des hommes, n?attendant pas qu?on mette les chaloupes à la mer, se jettent dans l?eau, espérant rejoindre la côte à la nage. Mais ils n?y parviendront pas et tous mourront noyés. On met à la mer les embarcations de sauvetage, chargées de naufragés, mais, à cause de la tempête, elles se brisent sur les rochers et les passagers connaissent le même sort que les autres. Il n? y a plus d?embarcation, mais on a l?idée d?utiliser la mâture comme radeau. On la découpe, on assemble les morceaux, on les lie et on lance la frêle embarcation à la mer. Un matelot, très bon nageur, parvient même à transporter une corde sur terre, de façon à guider le radeau et à l?empêcher de se renverser. La corde aurait été accrochée à une ancre, qu?on peut encore voir dans la baie de Souhalia. L?embarcation fait plusieurs va-et-vient quand, brusquement, les montagnards surgissent, alertés par le naufrage du bateau. Ils coupent la corde, ce qui a provoqué une réaction des naufragés. Un combat s?engage et plusieurs personnes sont tuées, de part et d?autre. Les autres naufragés se rendent. La réaction des montagnards berbères, si elle peut paraître choquante aujourd?hui, doit être replacée dans le contexte de l?époque. Au début du XIXe siècle, le Maghreb était encore sous la menace d?une invasion européenne. L?occupation espagnole des villes du littoral a laissé, dans les mémoires, de profondes cicatrices et à chaque fois qu?un bateau approche des côtes, c?est le spectre de l?occupation qui resurgit. Des naufragés sont dépouillés de leurs vêtements par les montagnards les plus pauvres, mais on ne leur fait pas de mal, puisque cinq cents d?entre eux seront conduits à Ténès d?où ils seront rapatriés. Parmi les personnes que les montagnards gardent, on cite un groupe de religieuses d?origine hollandaise qui se rendaient, elles aussi, à Saint-Domingue. L?une de ces religieuses aurait porté le nom de mère Binette ; elle aurait été adoptée par les montagnards qui, à sa mort, lui ont érigé un mausolée. Nous verrons plus loin que cette religieuse et ses «filles» ont laissé un bon souvenir dans la région, ce qui explique, peut-être, la vénération qu?on leur voue encore aujourd?hui ! Ce mausolée, appelé Yemma Banat, existe toujours. Il a été fortement éprouvé par le séisme de 1980, mais il a tenu. A l?intérieur du mausolée se trouve une tombe, avec une étrange inscription, en français et en arabe : «Ici repose la mère Binette, victime, avec six compagnes religieuses, du naufrage du ??Banel?? en 1802.» Comme on l?a fait remarquer, cette épitaphe, qui laisse sous-entendre que la mère Binette et ses compagnes sont mortes au cours du naufrage, ne correspond pas au récit des montagnards de Bani Haoua, qui rapportent que la «mère» a vécu parmi eux. Il faut donc supposer que cette épitaphe a été ajoutée bien plus tard, par des gens au courant de l?histoire du «Banel»? Dans le but, sans doute, de donner une assise historique à ce qui allait devenir une légende ! (à suivre...)