La société secrète chinoise comme institution du contre-pouvoir... Depuis des millénaires, et encore probablement de nos jours, la société chinoise prend modèle sur l?ordre confucéen, donc sur un pouvoir unique et très fortement hiérarchisé. L?empereur, ou celui qui est à la tête de l?Etat, donc de cette pyramide soi-disant monolithique, est le représentant du «Mandat Céleste» (Tian Ming), principe essentiel et absolu, sans lequel la Chine serait un vaste chaos éclaté en de multiples factions rivales et livré à toutes les turpitudes. C?est du moins ce qui a toujours été affirmé depuis l?empereur Jaune, Qin Shihuangdi, fondateur de la dynastie Qin en 221 avant notre ère. Cette dynastie, Qin se prononçant Tchin, a donné son nom occidental actuel à la Chine... Par la suite, quelle que soit la couleur de l?empereur ou de ses successeurs ? rouge pour Mao et gris pour Deng ? le principe demeure intangible. Il se matérialise dans une bureaucratie omniprésente et toute- puissante qui se veut et se doit la courroie de transmission entre ce «mandat céleste», le dirigeant en place et la multitude du «peuple aux cheveux noirs», donc les Chinois. Rien ne peut être entrepris ni réalisé qui ne soit décidé ou autorisé par cette bureaucratie, qui constitue donc un immense pouvoir d?encadrement et de contrôle des activités humaines de tout ordre : commerce, fiscalité, affaires militaires ou civiles, agriculture, justice, économie, religion, éducation, loisirs, rapports avec l?extérieur... rien ne doit et ne peut échapper à la sagacité des cohortes de fonctionnaires qui s?efforcent, avant toute chose, de conserver la cohésion de l?édifice. Cette cohésion se maintient grâce à deux facteurs apparemment contradictoires : l?interventionnisme et le conservatisme. Rien ne peut se faire sans qu?un ou plusieurs fonctionnaires interviennent, mais cette intervention consiste principalement à vérifier que ce qui se fait ne met pas en cause l?ordre établi dans la société, reflet de l?ordre cosmique. Il convient donc avant tout de consentir à effectuer de multiples efforts pour que surtout rien ne change. Dans ce contexte très particulier, la société secrète chinoise représente donc, en tant que seule opposition cohérente, une institution à part entière. Son but essentiel est, en effet, d?opposer à ce «mandat céleste» (Tian Ming) une «Rupture de Mandat» (Ge Ming) qui, habituellement, se doit d?aboutir à une révolution. La très longue histoire de la Chine est donc émaillée de ces multiples «Ruptures de Mandat» occasionnées, avec plus ou moins de chance ou de réussite, par ces fameuses sociétés secrètes. Les romans populaires, souvent interdits par le pouvoir, comme Les Trois royaumes, Le Voyage en Occident ou Au bord de l?eau ne cessent de s?y référer. (à suivre...)