Devant la mine défaite d?El-Fedda, El-Dabbar lui recommanda : «Observe bien l?oued, l?ogresse et le château ; exploite leur point faible. N?oublie pas : leur faiblesse sera ta force, voilà mon premier conseil ! Rappelle-toi aussi qu?il ne faut pas cogner ton front contre les obstacles ! S?ils sont comme la montagne, trop durs à franchir, il faut alors les contourner, voilà mon second conseil !» El-Fedda impatient intervint : «Je voudrais que tu m?indiques, ?Si Debbar?, le chemin que je devrais prendre?» Le vieux sage reprit : «Justement, laisse-moi, mon enfant, te donner mon dernier conseil, et ce n?est pas le moindre : «Ton chemin ? Il est là où est la volonté !» Après cet entretien, El-Fedda prit une outre pleine d?eau et se dirigea vers les portes de la ville où il rencontra Ali le portefaix. Celui-ci était d?une force surhumaine : il lui arrivait de soulever d?une seule main le plus lourd des fardeaux, mais aujourd?hui il était affalé sur un banc public, les yeux hagards. «Il fait trop chaud cet été, pleurnichait Ali, toutes les sources sont taries ! Bonne mère, je meurs de soif !». Ali venait, sans le vouloir, de lui souffler la solution à la première épreuve ; El-Fedda lui donna de l?eau de son outre pour le remercier et continua son chemin. «La faiblesse des fleuves est la chaleur puisqu?elle assèche leurs eaux ; il faudrait donc que je me dépêche !», se dit le jeune homme tout en pressant le pas, alors : Il marcha du matin au soir. S?en allant de bourg en bourg. Rien ne l?arrêtant même pas la nuit noire. Alors il arriva le soir près de l?oued El-Heddjar qui était bien asséché à cause de l?été torride de cette année. Alors El-Fedda répandit sur la berge un peu d?eau de son outre qui se transforma aussitôt en pierre et le jeune homme mit le pied dessus ; puis il reversa plus loin quelques gouttes d?eau qui devinrent un tas de cailloux et il remit dessus un second pied ; Procédant ainsi, El-Fedda parvint à traverser l?oued tari, sans pour autant toucher son lit, surmontant de la sorte sa première épreuve. Puis le jeune homme reprit son chemin et : Marcha du matin au soir. S?en allant de bourg en bourg. Rien ne l?arrêtant même pas la nuit noire. Il finit par arriver au mont de la Nostalgie. Le ciel était gris ; de longs sapins se dressaient frileusement les uns contre les autres ; seuls des cris aigus de corbeaux déchiraient le silence pesant. El-Fedda se laissa tomber à terre au pied d?un arbre. La brume et les hautes herbes le cachaient. Soudain, il aperçut l?ogresse noire, assise à quelques mètres de lui près de la rivière. Nue, jusqu?à la taille, ses seins énormes rejetés sur les épaules, elle pleurait bruyamment son petit dernier que les chasseurs avaient abattu la semaine dernière dans l?oued. Des torrents de larmes coulaient sur les joues rugueuses de l?ogresse, et ses pleurs se mêlaient aux eaux qui coulaient devant elle. De ses grosses mains elle épongeait, maladroitement, le lait qui s?échappait de ses lourdes mamelles. À chaque fois qu?elle reniflait, les arbres s?agitaient, les animaux regagnaient leurs refuges et les oiseaux se terraient dans leurs nids. Un silence de mort régnait car la forêt entière se figeait à l?approche de l?ogresse. El-Fedda comprit le manque d?amour et la solitude dont souffrait le monstre. «C?est pour cette raison qu?elle est devenue si terrible !», se dit-il Alors, suivant son instinct, El-Fedda se précipita vers l?ogresse, saisit l?une de ses grosses mamelles et se mit à têter comme l?aurait fait un nouveau-né ! Le monstre surprit, tout d?abord, fondit ensuite d?amour pour ce petit homme ; ses grosses mains aux griffes acérées au lieu de le déchiqueter se firent de velours. Quand il se sépara de son sein, il leva vers l?ogresse un regard plein d?interrogations en disant: «Merci, j?avais faim, j?avais froid, tu m?as réconforté, ma Ghoula». (à suivre...)