Résumé de la 8e partie n En bon musulman, Alischar s?est rendu au souk pour acheter de quoi nourrir le chrétien laissant la Belle Zoumourroud seule à la maison. «Quant à moi, ô mon maître, j'ai déjà étanché ma soif à l'eau de ta maison, mais la faim m'est en ce moment une telle torture que je me contenterais bien des restes de ton repas, ne serait-ce qu'un morceau de pain sec et un oignon, rien de plus !» Alischar, de plus en plus furieux, lui cria : «Allons ! va-t'en d'ici ! assez de citations comme ça ! Il n'y a plus rien à la maison !» Il répondit sans bouger de sa place : «Mon seigneur, pardonne-moi ! mais, s'il n'y a plus rien à la maison, tu as sur toi les cent dinars que t'a rapportés la tapisserie. Je te prie donc, par Allah, d'aller au souk le plus proche m'acheter une galette de froment, pour qu'il ne soit pas dit que j'aie quitté ta maison sans qu'il y ait eu entre nous le pain et le sel !» Lorsque Alischar eut entendu ces paroles, il se dit en lui-même : «Il n'y a pas de doute possible, ce maudit chrétien est un fou et un extravagant. Et je vais le jeter à la porte et exciter après lui les chiens de la rue !» Et comme il s'apprêtait à le pousser dehors, le chrétien immobile lui dit : «O mon maître, ce n'est qu'un seul pain que je désire, et un seul oignon, de quoi seulement chasser la faim. Ne va donc pas faire une grande dépense pour moi, c'est vraiment de trop ! Car le sage se contente de peu ; et, comme dit le poète : «Un pain sec suffit pour mettre en fuite la faim qui torture le sage, alors que le monde entier ne saurait calmer le faux appétit du gourmand.» Quand Alischar vit qu'il ne pouvait faire autrement que de s'exécuter, il dit au chrétien : «Je vais au souk te chercher à manger. Reste ici à m'attendre, sans bouger !» Et il sortit de la maison, après avoir fermé la porte et enlevé la clef de la serrure pour la mettre dans sa poche. Il alla en toute hâte au souk, où il acheta du fromage rôti au miel, des concombres, des bananes, des feuilletés et du pain soufflé tout frais sortant du four, et apporta le tout au chrétien en lui disant : «Mange !» Mais celui-ci se récusa en disant : «Mon seigneur, quelle générosité est la tienne ! Ce que tu apportes là suffira à nourrir dix personnes ! C'est vraiment trop ! à moins que tu ne veuilles m'honorer en mangeant avec moi !» Alischar répondit : «Moi, je suis rassasié ; mange donc tout seul !» Il s'écria : «Mon seigneur, la sagesse des nations nous apprend que celui qui refuse de manger avec son hôte est indubitablement un bâtard adultérin... A ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et se tut discrètement. A ces paroles sans réplique possible, Alischar n'osa refuser et s'assit à côté du chrétien et se mit à manger avec lui, distraitement. Le chrétien profita de l'inattention de son hôte pour éplucher une banane, la partager et y glisser adroitement du banj pur mêlé à de l'extrait d'opium, à dose suffisante pour terrasser un éléphant et l'endormir pendant un an. Il trempa cette banane dans le miel blanc où nageait l'excellent fromage rôti, et l'offrit à Alischar en lui disant : «O mon seigneur, par la vérité de ta foi ! accepte de ma main cette succulente banane que j'ai épluchée à ton intention !» Alischar, qui tenait à en finir, prit la banane et l'avala. A peine la banane était-elle arrivée dans son estomac, qu'Alischar tomba à la renverse, la tête avant les pieds, privé de sentiment. Alors le chrétien bondit tel un loup pelé et s'élança au-dehors où, dans la ruelle en face, se tenaient aux aguets des hommes avec un mulet, ayant à leur tête le vieux Rachideddîn, le misérable aux yeux bleus auquel n'avait pas voulu appartenir Zoumourroud, et qui avait juré de l'avoir de force, coûte que coûte. Ce Rachideddîn n'était qu'un ignoble chrétien qui professait extérieurement l'islamisme pour en avoir les privilèges auprès des marchands, et il était le propre frère du chrétien qui venait de trahir Alischar, et dont le nom était Barssoum. (à suivre...)