"Peur" Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la mer généreuse, ne draine pas la grande foule en ce début d?été dans les zones sinistrées. Hier, prise d?assaut, aujourd?hui, source de phobies... «Nazim est descendu pour la première fois à la plage avant-hier». Le regard chargé d?espoir, Djaouida pense que son fils a enfin «commencé à exorciser ses peurs». Peurs nées un certain 21 mai quand, dans un rugissement de colère, la nature a fait trembler la terre et exploser les murs. Debout sous la tente, Djaouida s?affaire à préparer du thé. Sa fille fouille dans ses affaires entassées dans un sac posé à même le sol. Elle se prépare à aller faire sa séance de sport à l?extérieur. «C?est sa façon à elle de destresser». Va-t-elle à la place ? «Non, répond la jeune fille, il ne fait pas encore assez chaud.» Sa mère pense que ce n?est pas la raison principale. «En fait, nous n?avons pas encore surmonté notre peur». Le regard vague, Djaouida semble lutter contre des souvenirs dont elle ne veut aucunement parler. Pour y échapper, pour fuir les longues journées d?été que la vie à l?intérieur du camp rend plus interminables encore, elle a rapidement réintégré son travail tout comme son mari d?ailleurs. Une autre tente, une autre femme, plus agée celle-là, s?emploie à garder le feu allumé. Les flammes vacillent sous le vent qui s?infiltre par les fentes et finit par les éteindre. La femme soupire, affiche quand même un sourire et regarde ses enfants. «Je crois qu?aujourd?hui, ce sera comme hier, un repas froid». Plus à l?intérieur, là où la famille passe la journée et la nuit, il fait trop chaud pour cuisiner. Prenant son mal en patience, la mère trouve le moyen de plaisanter. «Je dis à mes enfants que s?ils ont envie d?une omelette, ils n?ont qu?à casser des ?ufs devant la tente». Affronter la chaleur Les enfants sourient sauf Lynda. Elle est toute pâle. Une réplique vient de se produire et elle est terrifiée. C?est la veille seulement qu?elle est sortie de l?hôpital de Palestro (Lakhdaria)où elle avait été admise le 22 mai pour une fracture du bassin. Sa mère poursuit : «Je suis tout le temps en train d?asperger la tente avec de l?eau, mais rien n?y fait». Quelques tentes plus loin, Aïcha se tient devant la sienne : «Depuis ce matin, je ne fais que rentrer et sortir pour essayer de trouver un peu de fraîcheur». Une chaleur suffocante rend l?air presque irrespirable sous la tente très sobrement équipée. La vaisselle est posée à même le sol ; les vêtemens sont entassés dans des sacs, certains accrochés. Enfermée encore dans ses souvenirs, Aïcha n?a qu?une envie, un mois après l?hécatombe : raconter cette nuit. Réajustant d?un geste nerveux, mais presque machinal son foulard de temps à autre, elle fait des efforts pour affirmer sa voix à chaque fois que sa gorge est nouée par l?émotion. Feriel, 10 ans, écoute le récit de sa mère sans rien dire. Changeant de sujet, Aïcha montre un réchaud à gaz : «Comme s?il ne faisait pas assez chaud sous la tente... mais nous sommes obligés, dehors il y a du vent». Nassima, 15 ans a l?air de s?ennuyer : «Il n?y a rien à faire sous la tente ni à l?extérieur d?ailleurs ; où aller ?». Les deux jeunes filles sont descendues à la plage avec leur père il y a quelques jours. Elles n?étaient pas très rassurées : «la mer nous fait peur maintenant.» La peur de la mer, un sentiment qu?expriment beaucoup de sinistrés, pourtant nés pour la plupart au bord de la grande bleue.