Résumé de la 1re partie n Abalhassan est un marchand heureux et réputé. Un jour qu'il est avec un ami, il reçoit la visite de dix adolescentes. Lorsque le convoi fut à la porte de la boutique, la jeune femme, s'appuyant sur les épaules de ses esclaves, mit pied à terre et entra dans la boutique en souhaitant la paix à Abalhassan, qui lui rendit son souhait avec les marques du plus profond respect et se hâta d'arranger les coussins et le divan pour l'inviter à y prendre place, et se retira aussitôt, un peu plus loin, pour attendre ses ordres. Et la jeune femme se mit à choisir négligemment quelques étoffes à fond d'or, quelques orfèvreries et quelques flacons d'essence de rose ; et, comme elle n'avait pas à se gêner chez Abalhassan, elle releva un instant son petit voile de visage et fit ainsi briller, sans artifices, sa beauté. Or, à peine le jeune prince Ali ben Bekar eut-il aperçu ce visage si beau qu'il en fut frappé d'admiration et une passion s'alluma au fond de son foie ; puis comme, par discrétion, il faisait mine de s'éloigner, la belle adolescente, qui l'avait remarqué elle aussi et avait également été secrètement remuée, dit à Abalhassan de sa voix admirable : «Je ne veux pas être cause du départ de tes clients. Invite donc ce jeune homme à rester !» Et elle sourit adorablement. A ces paroles, le prince Ali ben Bekar fut au comble de ses vœux et, ne voulant pas être en reste de galanterie, dit à l'adolescente : «Par Allah ! ô ma maîtresse, si je voulais m'en aller ce n'était pas seulement par crainte d'être importun, mais parce qu'en te voyant, j'avais pensé à ces vers du poète : ”O toi qui regardes le soleil, ne vois-tu pas qu'il habite des hauteurs que nul œil humain ne saurait mesurer ? Penses-tu donc pouvoir l'atteindre sans ailes, ou crois-tu, ô naïf, le voir descendre jusqu'à toi ?”» Lorsque l'adolescente eut entendu ces vers récités avec un accent désespéré, elle fut charmée du sentiment délicat qui les inspirait et elle fut plus vivement subjuguée par l'air charmant de son amoureux. Aussi elle lui jeta un long regard souriant, puis elle fit signe au jeune marchand de s'approcher, et lui demanda à mi-voix : «Abalhassan, qui est donc ce jeune homme et d'où est-il ?» Il répondit : «C'est le prince Ali ben Bekar, descendant des rois de Perse. Il est aussi noble qu'il est beau. Et c'est mon meilleur ami.» «Il est gentil ! reprit la jeune femme. Ne t'étonne donc pas, Abalhassan, si tout à l'heure, après mon départ, tu vois arriver une de mes esclaves pour vous inviter, toi et lui, à me venir voir. Car je voudrais lui prouver qu'il y a à Bagdad de plus beaux palais, de plus belles femmes et de plus expertes almées qu'à la cour des rois de Perse !» Et Abalhassan, à qui il n'en fallait pas plus long pour comprendre, s'inclina et répondit : «Sur ma tête et sur mes yeux !» Alors la jeune femme ramena son petit voile sur son visage et sortit en laissant derrière elle un parfum subtil de robes conservées dans le santal et le jasmin. Quant à Ali ben Bekar, une fois l'adolescente partie, il resta pendant un bon moment à ne savoir plus ce qu'il disait, et tellement qu'Abalhassan fut obligé de l'avertir que les clients remarquaient son agitation et commençaient à s'en étonner. Et Ali ben Bekar répondit : «O ben Taher, comment ne serais-je pas agité et moi-même étonné de voir mon âme chercher à s'échapper de mon corps pour aller rejoindre cette lune qui oblige mon cœur à se donner sans consulter mon esprit ?» Puis il ajouta : «O ben Taher, de grâce ! Qui est cette adolescente que tu sembles connaître ? Hâte-toi de me le dire !» Et Abalhassan répondit : «C'est la favorite de choix de l'émir des Croyants ! Son nom est Schamsennahar. Elle est traitée par le khalife avec des égards qui sont à peine rendus à Sett Zobeïda elle-même, l'épouse légitime. Elle a un palais à elle seule où elle commande en maîtresse absolue, sans être l'objet de la surveillance des eunuques ; car le khalife a en elle une confiance sans limites et, à juste titre, car de toutes les femmes du palais c'est celle qui, bien que la plus belle, fait le moins parler d'elle, avec des clignements d'œil, par les esclaves et les eunuques.» (à suivre...)