Rosa Gemen, vingt-cinq ans, est une jolie célibataire. Une silhouette sur laquelle les hommes se retournent plus que volontiers, un visage frais, lumineux, et un charme... Ce matin du 12 septembre 1966, I'été indien s'est installé à Cologne. Rosa sort de chez ses parents vers huit heures trente, vêtue d'une robe légère, et un laveur de carreaux ne se prive pas de siffler un compliment sur son passage. Rosa sourit, traverse la rue et gagne l'emplacement de sa voiture, sur le trottoir d'en face. Une Volkswagen, une coccinelle couleur ivoire, cuirs intérieurs rouges, qu'elle brique amoureusement depuis quelques années. A Cologne, une coccinelle est une voiture banale surtout dans les années soixante. Mais cette voiture rigolote et robuste a toujours eu ses amoureux, et les a encore, depuis qu'elle n'est plus fabriquée en série Rosa sort ses clés de son sac et contourne la voiture pour ouvrir la portière gauche. Une voisine l'interpelle : — Salut, Rosa, ça va ce matin ? En forme ? Elle s'arrête une seconde, étonnée de ne pas recevoir de réponse. — Hé Rosa ? Qu'est-ce qu'il y a ? Rosa vient d'ouvrir la portière de sa coccinelle et a eu un geste de recul. Puis elle se penche à l'intérieur du véhicule et recule à nouveau en faisant la grimace, la main sur le nez, dégoûtée. La voisine, intriguée par ce manège, se rapproche aussi, pour voir ce qui effraie son amie, ne voit rien... mais sent soudain, et recule à son tour : — Mon Dieu, quelle horreur, Rosa... Qu'est-ce qui est arrivé à ta voiture ? — Je ne sais pas, c'est infect... Rosa fait le tour pour ouvrir l'autre portière et faire un courant d'air. — Tu as oublié quelque chose à l'intérieur ? — Non... je ne m'en suis pas servie ce week-end... et c'est ma mère qui a fait les courses... Il n'y a rien à l'intérieur, je viens de regarder. — Regarde dans le coffre... il y a sûrement quelque chose qui pue là-dedans... Rosa ouvre le coffre, examine le petit désordre habituel qui y règne, une paire de bottes inodores, un parapluie, des chiffons, un bidon d'huile, un jerricane qui sent seulement l'essence, des vieux journaux... Rien qui explique cette odeur épouvantable qui l'a prise à la gorge en ouvrant la portière. D'ailleurs cette odeur ne vient pas du coffre on on la sent à peine. Elle vient bien de l'intérieur de la voiture. — Impossible de rouler là-dedans... c'est infernal... je vais être en retard à la pharmacie... La voisine ouvre son sac de tennis et lui tend un atomiseur de déodorant : — Tiens, vaporise avec ça, je m'en sers pour les chaussures de tennis après le match, c'est efficace... Tu n'auras qu'à rouler les vitres ouvertes, ça passera... N'aie pas peur de vider la bombe... Je te la laisse, tu en as plus besoin que moi... Tandis que la voisine s'éloigne, Rosa s'assied de biais dans la voiture, les jambes à l'extérieur, prête à ressortir à la première nausée, car cette odeur est écœurante, une odeur d'ail, un concentré d'ail, dirait-on. Elle bombarde l'intérieur de la voiture de déodorant au citron vert... Le mélange n'est pas une réussite mais l'odeur est tout de même un peu masquée. Rosa hésite, regarde l'heure, elle pourrait prendre le bus, mais... Passe un cycliste, qui aperçoit les jolies jambes sportives de Rosa, et siffle d'admiration lui aussi. Habituellement Rosa sourit avec indifférence à ce genre de compliment canaille. Mais elle est énervée par ce mystère nauséabond. Alors elle se décide. (à suivre...)