Précaution n Ammi Mokhtar se déplace à la demande des gens qui l'appellent, mais il est très prudent. Avant de procéder aux annonces, il se présente d'abord au service concerné de la commune pour s'assurer de la crédibilité de l'information. Exercer le métier de berrah n'est pas aisé : il faut crier, voire s'époumoner à plusieurs reprises et durant plusieurs jours pour annoncer au moyen d'un haut-parleur, les décès, les avis de recherche, la collecte de sang et même les mariages et… les rassemblements populaires des partis politiques. Ammi Mokhtar Allouache a déjà appelé la population de Koléa (Tipaza) à assister aux rassemblements populaires du FLN et du RND lors de la précédente campagne électorale pour le renouvellement de l'APN le 19 mai dernier. Et récemment, il a été sollicité par la majorité des partis politiques pour l'actuelle campagne de la course électorale du 29 novembre. «J'ai beaucoup fait lors de la précédente campagne et je ne veux plus me mêler de la politique», nous confiera Ammi Mokhtar, 58 ans et près de 20 ans d'activité dans ce domaine. Rencontré mardi à Koléa alors qu'il annonçait le décès d'un citoyen et appelait la population à la «hassana» pour assister à l'enterrement, Ammi Mokhtar nous dira qu'il souffre actuellement d'une veine bouchée au niveau de la jambe gauche. S'appuyant sur une béquille, le haut-parleur à la main droite, il se tient difficilement debout. Cette activité, il l'exerce bénévolement. «Je suis éboueur – fonctionnaire permanent de l'Etat – depuis 14 ans, mais j'ai toujours été réquisitionné pour les appels dans les rues et les quartiers de Koléa parcourant à pied, parfois plus de 20 km, aller - retour, dans les différents quartiers en une seule journée», nous avouera-t-il. Il a débuté en tant que chanteur dans les mariages. «Durant la décennie noire, j'ai été menacé et c'est pour cette raison que j'ai arrêté de chanter pour me consacrer aux annonces de décès et divers autres événements bénévolement et ce, suite à des conseils d'amis de Koléa puis j'ai été nommé à la commune», nous dira-t-il encore. Ammi Mokhtar se déplace à la demande des gens qui l'appellent mais il est très prudent et avant de procéder aux annonces, il se présente d'abord au service concerné de la commune pour s'assurer de la crédibilité de l'information. «Je suis disponible à tout moment. Je ne peux me permettre de refuser la demande de quelqu'un», ajoutera-t-il. Mais il a été échaudé car nous révélera-t-il : «J'ai fait part de 5 cas de décès alors que les personnes étaient vivantes. C'étaient des canulars de la part de personnes sans foi ni loi pour rigoler ou faire des poissons d'avril. C'est depuis que j'ai décidé de m'informer de la véracité de l'annonce auprès des services de la commune.» Ammi Mokhtar nous dira également que bien que ce métier soit fatigant et stressant, il ne l'exercera plus seulement sous le prétexte de maladie ou de décès». Mais il y a une contrainte qui le met très mal à l'aise lui et sa famille, c'est de voir que «certaines personnes qui ont peur de mourir et quand elles me voient m'identifient à la mort alors elles me regardent de travers comme si je portais malheur et c'est ridicule», se désole-t-il. «Mes 3 enfants, harcelés par ceux qui les appellent ouled el berrah', me demandent constamment d'arrêter ce métier» et je leur réponds toujours que leur père exerce un métier noble. Ils savent que moi aussi je suis harcelé par des gens de ma localité qui me disent tout bêtement, en ne cessant de me taquiner. «Tu as tué tout le monde», ajoute-t-il encore l'air peiné. Par ailleurs, il remerciera l'imam Abdelghani, mais aussi sa propre épouse qui l'aide beaucoup et accepte son métier. «Je lui demandais auparavant d'arrêter car nous étions harcelés, mais maintenant j'ai fini par accepter», nous confiera sa femme. Les riches, nous dira-t-il, sont accompagnés à leur dernière demeure par une grande foule, les pauvres, en revanche, sont généralement accompagnés d'une poignée de personnes. A ce jour, Mokhtar Allouache a annoncé près de 5 000 décès selon lui. Appel l Ammi Mokhtar saisit l'occasion qui lui est offerte pour lancer un appel aux autorités et dénoncer le grave état de la cité 110-Logements de Koléa où il vit depuis 4 ans. «Le bâtiment où je vis est dans un état de délabrement avancé et pourtant cela ne fait que 4 ans que ces logements sociaux sont occupés . Au rez-de-chaussée, il y a un appartement qui n'a jamais été habité pour la bonne raison qu'il est sans portes et sans fenêtres. Il fait office de décharge publique. Nous n'avons pas de gaz de ville, les coupures d'électricité sont permanentes et il n'existe pas de réseaux d'assainissement (égouts), l'humidité fait des ravages, les murs sont fissurés... Nous sommes continuellement en danger» insiste-t-il. Satisfactions n Une famille de Chlef a pu retrouver sa fille égarée, grâce à notre berrah, après 20 jours de disparition il y a quelques années. Il a également réussi à trouver les bijoux d'une jeune femme de Attatba qui devait se marier.. Il lui arrive également d'être l'intermédiaire entre les bienfaiteurs et les pauvres. «Je suis plus qu'El-idaâ (la radio), en ce sens que j'ai réussi à aider beaucoup de familles», commentera-t-il. Il se désole cependant de ne plus être sollicité pour la recherche et la collecte de sang par l'hôpital de Koléa. «Actuellement, ce sont les gens qui viennent individuellement me voir. Même moi je donnais mon sang.»